Rancœurs, trahisons, tragédies: tels sont les ingrédients du roman-enquête «Les Héritiers». Mais ces drames ne concernent pas que les grandes fortunes. Rot. Sarah Félix Furrer, avocate et notaire à Aubonne VD, en fait régulièrement l’expérience dans sa pratique professionnelle. Pour elle, le rôle du notaire consiste avant tout à garantir une transmission aussi pacifique et équilibrée que possible.
Liliane Bettencourt, Johnny Hallyday, Georges Gainsbourg ou encore Gina Lollobrigida: dans «Les Héritiers», Bernard Pascuito explore les déchirements liés aux successions de célébrités qui basculent dans des psychodrames. Hériter serait «la vie en pire» selon le livre. Est-ce que cela ne vaut que pour le monde des super riches?
Non, ces drames ne sont pas réservés aux grandes fortunes. Même pour le commun des mortels, la succession peut raviver des blessures anciennes, des rivalités, des sentiments d’injustice. L’héritage, au-delà des aspects financiers, touche à l’affectif, au passé familial, et à la reconnaissance symbolique. Un tableau de famille, une maison d’enfance, un bijou, un meuble ou même un jouet peuvent cristalliser autant de tensions qu’un compte bancaire bien garni.
Est-ce que des tensions entre héritiers sont fréquentes?
Elles sont malheureusement relativement fréquentes. Ce qui crée le plus souvent des tensions, ce n’est pas seulement le montant de l’héritage, mais souvent la perception d’un traitement inégal ou injuste. Les conflits éclatent souvent lorsqu’un des héritiers a été favorisé par ses parents de leur vivant ou à leur décès.
Est-ce qu’il vous arrive d’être choquée par l’attitude de certains héritiers?
Il m’arrive d’être attristée, plus que choquée. Il n’est en effet pas rare que des désaccords d’ordre patrimonial viennent perturber, voire compromettre durablement, les liens familiaux. Ce qui me marque le plus profondément, c’est que le deuil se trouve relégué au second plan, éclipsé par des tensions ou des conflits liés à la répartition des biens ou à la perception de l’inégalité de l’amour maternel et paternel.
Comment est-ce qu’il faudrait préparer sa succession pour que tout se passe au mieux entre les héritiers le moment venu?
Il faut anticiper: se renseigner sur les possibilités légales, rédiger un testament clair, équilibré et conforme au droit suisse. Mais surtout, il faut communiquer, expliquer ses choix à ses proches et parfois recourir à une médiation familiale. L’institution du pacte successoral peut aussi permettre de fixer les règles de manière consensuelle. Il est important de se faire accompagner par un professionnel pour trouver des solutions personnalisées.
Quelles sont les inquiétudes les plus fréquentes de la part des auteurs d’un testament?
Les gens craignent principalement que leurs volontés ne soient pas respectées, que leurs enfants se déchirent, ou que certains héritiers soient lésés malgré eux. Beaucoup se posent aussi des questions sur la fiscalité, sur la protection du conjoint survivant, ou sur comment préserver une entreprise familiale ou un bien immobilier.
En Suisse, dès le 19e siècle, avec la modernisation du droit et la création de l’État fédéral en 1848, la tendance va vers l’égalité entre enfants dans la succession. Est-ce que le droit suisse actuel permet encore la transmission privilégiée, par exemple pour conserver une ferme, un alpage ou un vignoble dans la famille sans le diviser?
Oui. Le droit suisse prévoit des mécanismes pour éviter la division de certaines unités économiques telles qu’une exploitation agricole ou viticole. La loi sur le droit foncier rural (LDFR) prévoit, par exemple, le principe de la remise à un seul héritier sous certaines conditions. Mais cela peut impliquer un règlement compensatoire pour les autres héritiers.
Quels sont les obstacles ou les difficultés que peuvent aujourd’hui rencontrer des propriétaires de vignobles, de fermes ou de patrons d’entreprises lorsqu’ils ou elles souhaitent transmettre leur bien?
Les principaux obstacles sont la valeur élevée du bien, souvent difficile à financer pour un seul héritier, les conflits d’intérêts entre les héritiers - certains veulent poursuivre l’activité, d’autres veulent vendre -, la fiscalité et parfois le manque de planification ou l’absence de repreneur désigné.
L’idée de léguer une partie ou la totalité de son patrimoine à une œuvre caritative ou à une cause sociale existe depuis l’Antiquité, au début souvent à des fins religieuses ou morales. Pour s’assurer «leur salut», des fidèles ont donné des montants très importants à des monastères et ordres religieux. Notamment l’Église catholique a ainsi accumulé beaucoup de terres et richesses. Est-ce que l’Eglise a encore une place aujourd’hui dans les testaments?
Oui, mais dans une moindre mesure. Certaines personnes, notamment âgées, souhaitent faire un don à leur paroisse ou à une œuvre religieuse. Mais aujourd’hui, ce sont plutôt des œuvres caritatives, culturelles, éducatives, médicales ou œuvrant pour le bien-être des animaux qui recueillent la majorité des legs hors famille et proches.
Est-ce qu’il est fréquent de voir des personnes sans enfants faire des dons à des institutions philanthropiques ou sociales?
Oui, c’est assez fréquent, et cela ne concerne pas uniquement les personnes sans enfant. Mais il est vrai que les personnes sans héritier direct se tournent plus volontiers vers des institutions qui leur tiennent à cœur pour donner un sens à leur patrimoine.
On peut hériter une fortune – comme on peut hériter une dette. Comment savoir s’il faut ou non accepter un héritage pour éviter de se retrouver avec un cadeau empoisonné?
Avant d’accepter une succession, il faut évaluer la situation patrimoniale du défunt: actifs, dettes, charges fiscales, etc. En Suisse, on peut accepter, refuser ou accepter sous bénéfice d’inventaire. Cette dernière option permet de protéger l’héritier en limitant sa responsabilité. Il est donc prudent de consulter un notaire ou un autre spécialiste avant toute décision, surtout en cas de doute sur l’endettement du défunt.
On adresse parfois à l’héritage matériel le reproche de perpétuer les inégalités sociales de génération en génération. Que répondez-vous à ceci?
Il est vrai que l’héritage matériel permet à certaines personnes de démarrer dans la vie avec des avantages financiers plus ou moins importants, tandis que d’autres n’héritent de rien. Toutefois, il convient de rappeler que la transmission du patrimoine répond également à des logiques affectives, familiales et de responsabilité intergénérationnelle. En Suisse, le droit successoral vise un certain équilibre: il protège les héritiers proches – notamment les enfants – grâce aux parts réservataires, tout en permettant au testateur une certaine liberté de disposition. De plus, les législateurs ont déjà mis en place des mesures spécifiques comme la fiscalité sur les successions en ligne indirecte notamment. A mon sens, le rôle du notaire n’est pas de se prononcer sur les questions de l’égalité sociale, mais d’accompagner les familles avec équité, transparence et prévoyance, tout en veillant à une transmission aussi pacifique et équilibrée que possible.
Lecture en lien avec la thématique de l’héritage:
«Les Héritiers», Bernard Pascuito (éd. Le Rocher, 2024), roman-enquète qui raconte la succession de plusieurs célébrités
«Héritage» de Miguel Bonnefoy (éd. Rivages, 2021), roman multi-générationnel sur la transmission d’objets et de valeurs familiales à travers le 20e siècle
«Le Guide pratique des successions», Pierre Novello (éd. Pierre Novello, 2025), s’adresse à toute personne concernée par les questions successorales
«Successions et donations: mode d'emploi», Roland Bron, Julien Favre (VZ VermögensZentrum, 2024).