Fabienne Porchet porte un regard sur 40 ans de développement touristique dans la région de la Glâne et de Gruyères. La directrice de La Maison du Gruyère est Rotarienne au RC Romont et a tôt connu la valeur d’un club service pour la société.
Les touristes se sont levés de bonne heure pour se retrouver sur les quais de la gare de Romont FR, prêts à monter dans le train qui les amène depuis la cité médiévale et son Vitromusée au cœur d’une des régions les plus porteuses de l’image de la Suisse: à Broc, la chocolaterie Cailler attend les amateurs de douceurs, à Pringy-Gruyères les fans de mets plus corsés trouveront leur bonheur. Nous poussons la porte de La Maison qui est entièrement dédiée à ce fromage emblématique connu dans le monde entier.
Fabienne Porchet, Rotarienne du RC Romont, la dirige depuis bientôt 16 ans avec un succès grandissant comme en témoigne le nombre de visites qui augmente chaque année. Au point que les files d’attentes sont devenues interminables en été. Fabienne lâche un soupir: elle attend avec impatience la levée des recours pour pouvoir enfin réaliser la modernisation et l’agrandissement prévus pour ce site touristique qui a attiré plus de 190000 personnes en 2024, environ un tiers venant de Suisse, 40% de l’Europe et les autres d’Outre-mer.
Début au guichet des CFF
On peine à imaginer que la Ville de Romont n’a ouvert un Office du tourisme seulement en 1987! Fabienne est bien placée pour parler de l’évolution du tourisme dans ces collines douces qui se sont progressivement positionnées sur la carte des attractions. Avant de travailler pendant 20 ans à l’Office du tourisme, elle était employée au guichet des CFF à la gare de Romont. Elle avait 20 ans. «C’est là que je me suis rendu compte de l’intérêt touristique de la région où j’ai grandi. Comme il n’y avait pas d’Office du tourisme à l’époque, les touristes venaient au guichet CFF pour demander des renseignements. Parfois je les ai même accompagnés dans ma ville.»
Ce bénévolat continuait même plus tard pour l’Office du tourisme. Fabienne parlerait presque d’un engagement social, car le budget ne permettait pas d’encadrer tant de manifestations par des professionnels. C’est aussi à ce moment-là qu’elle a connu la valeur d’un engagement pour la société à travers son premier club service: la Jeune Chambre Économique aidait à développer des manifestations que l’Office du tourisme n’aurait pas pu porter seul et a financé des actions comme la création des parcours VTT en Glâne. C’est dans ce même esprit qu’elle a rejoint le Rotary en 2013. «Le Rotary me permet de m’impliquer pour la communauté.»
Mais revenons à La Maison du Gruyère où les touristes suivent les étapes de la production du fromage grâce aux explications de la vache Cerise, disponibles en 13 langues sur l’audio-guide et 10 de plus sur papier.
Fabienne, La Maison du Gruyère nous montre des prairies vertes, de belles vaches toutes propres, une abondance de fleurs, le lait qui coule dans les moules puis finalement les imposantes meules de fromage à la cave. N’est-ce pas un peu trop cliché pour l’image de la Suisse, décalé de la réalité de la majorité de sa population?
Il ne faut pas oublier que beaucoup de gens ont des racines paysannes et que la terre a fait vivre leurs grands-parents ou même leurs parents. Il existe encore aujourd’hui un vrai lien aux produits naturels, un intérêt pour la consommation locale et les circuits courts. Bien sûr, l’image est bucolique, mais La Maison du Gruyère n’en est pas prisonnière.
Que veux-tu dire par là?
Le bâtiment est plutôt contemporain, et, surtout, il n’abrite pas un alpage factice, mais une vraie fromagerie qui date de 1969. La fromagerie de démonstration de Pringy était la toute première en Suisse. C’était la volonté du Conseil fédéral au sortir de l’Expo 1964 qui visait la modernité. Nous sommes nous aussi prêts pour moderniser le site, de mettre en place une nouvelle muséographie. Les plans existent depuis 2017 déjà et il est difficile de devoir attendre la levée des recours et le feu vert des autorités.
Comment se fait-il que Le Gruyère soit tellement fameux dans le monde entier?
Le Gruyère a été exporté très tôt en Europe, dès le début du 16ème siècle. Durant cette période, la France, à la recherche de mercenaires, formule un accord capitulaire avec notamment le canton de Vaud et de Fribourg, qui en échange d’hommes, reçoivent le droit de commercer. Du vin pour le premier, et du fromage pour le second. Les mercenaires au service du roi de France ont contribué à développer la route du gruyère. Le fromage était transporté dans des tonneaux avec de la paille par le col de Jaman jusqu’au bord du lac, à Vevey. Là, les tonneaux étaient chargés sur des barques qui descendaient le Rhône en direction de Lyon (F). Au 18ème siècle on en trouvait dans les colonies françaises d’Amérique, en Angleterre ou encore dans l’Empire Ottoman. Les archives font mention de l’utilisation du lait pour en faire un fromage dans la région en 1115 déjà, mais c’était un fromage frais, sans affinage. La production d’un fromage à pâte dure, similaire au Gruyère AOP actuel, est établie depuis le début du 15ème siècle. En 1762 que le terme gruyère entre dans le dictionnaire de l’Académie française.
Est-ce que Le Gruyère est produit ailleurs qu’en Suisse?
Oui, mais depuis 2001 la marque est protégée. Il faut savoir que beaucoup de Fribourgeois se sont expatriés au début du 19ème siècle pour échapper à la famine et se sont installés au Canada ou en Amérique Latine comme en témoigne par exemple Nova Friburgo au Brésil. La recette du Gruyère est partie avec eux. L’Interprofession du Gruyère a voulu se réapproprier la marque et a notamment rédigé un cahier des charges. Le Gruyère AOP peut être fabriqué selon une recette artisanale dans le district de La Gruyère dans le Canton de Fribourg, mais également dans les cantons de Vaud, de Neuchâtel, du Jura et dans quelques communes bernoises. Pour fabriquer un Gruyère AOP, le 70% de la nourriture des vaches doit être produite sur l’exploitation, l’ensilage n’est pas toléré, et la fromagerie doit se trouver à une distance maximale de 20 km du point de traite. L’appellation d’origine contrôlé (AOC) a été obtenu en 2001 au niveau suisse, l’appellation d’origine protégée (AOP) pour toute l’Europe en 2011.
Et qu’est-ce que Le Gruyère représente pour toi?
Dans ma famille, Le Gruyère était toujours présent à table. Mon papa le mangeait d’ailleurs tous les matins avec de la confiture. Cela ne me plaisait pas, mais aujourd’hui je fais pareil ! Il ne manque quasiment jamais dans mon frigo.
Au restaurant de La Maison du Gruyère on voit des touristes asiatiques manger gaiment des croûtes au fromage et de la fondue – est-ce qu’ils arrivent à digérer ces mets?
Oui, tout à fait! Le Gruyère ne contient pas de lactose qui disparaît au moment du pressage. Le Vacherin mûr non plus. La fondue ne rend donc pas malade quelqu’un qui serait intolérant au lactose.
Un parcours de femme
Fabienne Porchet est une directrice qui met naturellement la main à la pâte et s’implique corps et âme dans cette Maison: elle nous accompagne sur le parcours de visite et remet en place un couvercle, repositionne une affiche, parcourt de son regard les produits proposés au Marché gruérien. C’est en partie le résultat d’un parcours de vie d’une femme qui a eu ses deux enfants jeune et qui ne pouvait pas évoluer dans sa profession initiale: les CFF ne permettaient pas aux femmes de travailler à temps partiel! Pour son activité à l’Office du tourisme à Romont elle a suivi des cours de l’Histoire de l’Art, pour La Maison du Gruyère, où elle a commencé par un poste de marketing, a ensuite repris la gestion de la Maison puis finalement la direction y compris les finances, elle a également fait un cours des cafetiers au cas où il fallait gérer le restaurant un jour. Et quand son ancien chef aux CFF la laissait aller gérer le passage d’un train, même si à cette époque cette activité était réservée aux hommes, elle n’hésitait pas à monter depuis Vallorbe au Pont VD sur sa moto pendant la période de livraison du Vacherin Mont d’Or pour faire passer le dernier train du soir. Sentiment de liberté pour Fabienne, respect du temps de travail pour le chef de gare.
Son intérêt pour le tourisme et son goût du voyage ont été réveillés par son oncle paternel, un passionné d’orchidées qui voyageait énormément et ramenait de l’exotisme dans l’enfance de Fabienne à travers ses films. Fabienne a elle-même beaucoup voyagé par la suite et rajouté des cours de langues d’anglais et d’espagnol à l’allemand qu’elle avait appris pendant ses années à l’internat dans la partie alémanique de Fribourg. Dans l’univers gourmand du Gruyère, elle peut savourer pleinement ses compétences réunies.
Le week-end du 2 au 4 mai 2025, La Maison du Gruyère fêtera d’ailleurs déjà 25 ans d’existence avec de nombreuses animations au programme.
https://www.lamaisondugruyere.ch/