Qui fait la mode, quelles sont les habitudes de consommation aujourd’hui et comment est-ce que le patron aime lui-même s’habiller? Entretien dans l’univers masculin de Palud Modes SA, installée depuis 1936 à la Place de la Palud à Lausanne, avec son administrateur Marc Winterhalter. Il est Rotarien au RC Lausanne depuis bientôt 20 ans.
Marc, quelle importance est-ce que tu accordes personnellement aux vêtements?
Les vêtements sont importants lorsque j’ai du contact, avec des clients notamment. Dans la vie de tous les jours je me contente d’un jean et d’un sweat.
Plutôt confort alors?
Oui, comme tout le monde. Le Covid a passablement modifié les habitudes.
Dans quelle mesure?
Pendant les mois du confinement, la notion du devoir de s’habiller n’existait plus. Certaines habitudes sont restées: je vois des banquiers qui portent un veston avec un pantalon chino, mais plus de cravate, plus de costume. La tendance du smart-casual» comme ils aiment l’appeler existait déjà avant, mais le Covid l’a vraiment enclenchée.
La discussion si oui ou non un banquier pouvait se présenter sans cravate ou en baskets avait enflammé la toile pendant l’été. Au fond, c’est bien de pouvoir se mettre à l’aise, non?
Cela dépend du contexte. Je n’ai pas de souci si un informaticien qui est seul derrière son ordinateur ne met pas de cravate, mais quelqu’un qui a un rapport avec des clients a un devoir minimal de représentation. Lorsqu’un client vient au magasin demander un costume, la première question que nous posons est de savoir pourquoi il en a besoin. Si c’est pour un entretien d’embauche, on demande dans quel secteur. L’habit ne sera pas le même si c’est pour une étude d’avocats ou pour une agence de publicité. Oui, l’habillement est encore très codé.
Cela signifie donc que le conseil au client est important.
C’est la raison pour laquelle Palud Modes est encore là! La marchandise est disponible partout, surtout en ligne. Les gens viennent chez nous parce qu’il y a un service, parce qu’on leur dit «bonjour» et qu’on a un vrai contact avec eux. Il arrive assez souvent qu’au moment où le client part du magasin, nous connaissons son domaine d’activité et savons où il a passé ses dernières vacances. Le service clientèle est vraiment primordial.
Est-ce que cela a été la raison d’exister dès le début du magasin?
Du temps de mon grand-père qui a fondé l’entreprise en 1936, on s’habillait encore pour le dimanche. L’approche était différente à l’époque. Mon père a vu la belle période d’expansion du commerce de détail dans les années 60 et 70. Quand j’ai commencé à m’impliquer, internet démarrait. Il arrive en effet aujourd’hui que des clients viennent essayer des marques chez nous, se font conseiller et n‘hésitent pas à sortir leur téléphone devant nous pour voir s’ils peuvent trouver les mêmes habits meilleurs marchés ailleurs en ligne. Là, on fait le poing dans la poche…
C’est assez incroyable. L’habit du dimanche, en revanche, était accepté comme un vrai investissement.
Effectivement, c’était une vraie valeur à l’époque. Le prix du vêtement a continuellement baissé dans le panier d’un ménage. Aujourd’hui, le prix pour un costume se situe entre 490 et 1300 francs chez nous, la moyenne se trouvant entre 600 et 800 francs. À ce prix, nous pouvons proposer un joli costume de bonne qualité, fabriqué en Europe.
Fabriqué en Europe: est-ce que cela compte?
Oui, la conscience écologique a de plus en plus d’importance dans notre société – et pour moi et pour mes clients.
En même temps, on voit la «fast fashion» déferler…
Oui, nous voyons bien chaque semaine de nouveaux arrivages chez Zara qui fait partie du groupe Inditex et qui fabrique des vêtements qui ne sont pas chers. Ils sont en principe portés quelques fois pour ensuite remplir les poubelles en Afrique. Les vêtements que je vends peuvent être mis plusieurs saisons et leur trajet est beaucoup plus court. Il y a certaines grandes marques qui fabriquent exclusivement en Asie et en Chine - là, nous n’avons pas le choix. Elles livrent et facturent leur marchandise, j’ai mon prix d’achat et mon prix de vente convenu que je dois respecter. Mais il y a d’excellents artisans qui ne sont pas connus comme ces grandes marques. Je travaille entre autres avec un fabricant italien de pulls de haute valeur ajoutée ; il fabrique d’ailleurs aussi pour des marques qui font rajouter leur logo par la suite. J’ai un fabricant de pantalon en Allemagne. Il a certes un atelier en Roumanie maintenant, mais cela reste l’Europe. C’est une entreprise familiale qui utilise du coton écologique. Nous faisons donc attention à avoir des produits venant d’Europe dans la mesure du possible et toujours de qualité.
Ton armoire ne déborde pas de «fringues» alors?
Non, je ne suis pas «fashion victim»! Je porte des habits pendant plusieurs saisons et j’ai un nombre de pièces anciennes dont je n’arrive pas à me séparer.
Travailler dans la mode signifie pourtant épouser le changement – et donc pousser à la consommation, non?
Le blazer bleu marine que je porte a une année, il est intemporel et le sera encore dans une année. Mais je peux varier le pantalon et la chemise selon la saison ou rajouter un accessoire. Il n’y a pas besoin de tout changer tout le temps.
Qui «fait» la mode au fond?
Il y a deux sortes de modes: celle des défilés, de la haute couture, qui est une mode de niche, en principe présentée au début d’une saison par les créateurs. La mode que je vends est du prêt à porter que je ne découvre pas sur un mannequin, mais dans un showroom. Je choisis des modèles et des tissus une année à l’avance.
Où vas-tu faire les achats?
Avec mon vendeur responsable, nous partons à Milan et à Zurich qui est le centre d’achat de textiles en Suisse.
Et tu y découvres de grands chamboulements de style?
Non. La largeur du revers peut changer, le nombre de boutons ou de fentes. Après une tendance au près du corps ces dernières années, les coupes deviennent un peu plus larges. Mais ce sont des changements en douceur: le fabricant nous rajoute peut-être un demi-centimètre au pied par saison! Chez les jeunes, en revanche, les changements sont beaucoup plus rapides et plus marqués avec des pantalons taille haute et «baggy» - qu’on ne trouvera pas chez nous.
Quels facteurs peuvent impacter la bonne marche du commerce de détail?
La morosité des consommateurs. On a senti les effets de la guerre en Ukraine, on sent les effets quand les nouvelles primes d’assurance-maladie sont annoncés en septembre-octobre, de la bourse qui s’effondre: il y a une multitude de facteurs qui peuvent influencer le moral des gens, d’autant plus avec les moyens de communication actuels qui rendent tout toujours plus rapide. Les cycles peuvent donc grandement fluctuer.
Est-ce que Palud Modes S.A. va continuer à être un commerce de famille?
Non, mes enfants ont choisi d’autres voies, moi-même je suis un heureux retraité et chercherai un repreneur pour la suite. Quelqu’un qui aura la gentillesse de continuer ce que mon grand-père a commencé en 1936.
Terminons sur une question par rapport au Rotary. Comment es-tu arrivé au RC Lausanne?
Un de mes meilleurs amis qui était aussi dans le commerce du détail m’en parlait souvent et m’y a introduit. Pour le RC Lausanne c’était intéressant d’avoir des membres qui venaient «du terrain» et non pas d’un bureau, et pour moi c’était un peu mon «université post-grade» grâce à toutes ces conférences et ces gens hyper-intéressants et enrichissants. J’ai toujours eu et j’ai encore beaucoup de plaisir à appartenir à ce club. J’ai participé aux actions et me suis entre autres occupé de l’accueil pendant une quinzaine d’années. On m’avait par contre averti qu’il ne fallait pas venir au Rotary pour y chercher des clients. S’ils le voulaient, ils viendront par eux-mêmes. Je n’ai donc jamais fait «du business» au Rotary. Ce n’est pas pour ces valeurs-là qu’il faut le rejoindre.