«Bosser à Neuchâtel, ça vous tente?» Cette question a marqué le début de l’engagement d’Annie Rossi au Domaine de la Grillette à Cressier (NE). Dix ans plus tard, la talentueuse ingénieure et œnologue française à l’expérience internationale a bien pris racine au bord du Lac de Neuchâtel et dans le Rotary également.
Lors du repas de Noël, n’imaginez pas Annie Rossi boire les vins du domaine qu’elle dirige pour accompagner le traditionnel chapon farci aux marrons ou le canard gras à la broche. «Ce n’est pas du tout reposant de boire ses propres vins! Je sais que j’irais chercher la petite bête», s’exclame-t-elle. Assise à l’immense table en bois de la cave du Domaine de la Grillette à Cressier, elle balaye la rangée de bouteilles du regard. Malbec, Merlot, Galotta, Pinot Noir, Cabernet – au total, 14 cépages sont produits en bio et biodynamie sur 20 hectares et livrent 120000 bouteilles par année. Le canard sera pourtant dégusté avec un vieux Châteauneuf du Pape. La jeune directrice, ou plutôt la régisseure comme on dit dans le langage de la viticulture, concède avec un clin d’œil qu’à Noël elle est rattrapée par sa culture française.
La France…
Annie Rossi a grandi dans le département de la Vaucluse dans la région d’Orange, à la campagne. Les parents n’exerçaient pas des métiers de la terre, mais leur fille sentait tôt le besoin de travailler avec le vivant. Après avoir terminé ses études comme ingénieure agroalimentaire et ayant fait des stages dans de grosses entreprises comme Coca Cola et Danone, elle comprit que ce type de travail serait trop éloigné du terrain et compléta avec une formation en viticulture et œnologie. «La terre, le raisin: il est important d’être aligné avec ses valeurs», souligne-t-elle. Elle ne l’avait jamais compris aussi clairement qu’au moment de ses 30 ans, après quelques années d’activités pour la prestigieuse maison Paul Mas au Languedoc, où on lui avait rapidement confié des fonctions à responsabilité – assistante de production, responsable approvisionnement en matières sèches, product manager, responsable export Europe, directrice marketing. «C’était passionnant, j’aime le marketing, j’ai beaucoup voyagé et découvert les différents marchés européens du vin. Pourtant, je passais beaucoup de temps dans des salons et des avions.»
Elle alla discuter de tout ça avec Isabelle Ferrando, chez qui elle avait fait sa première expérience d’œnologue en 2009 et dont elle avait conservé un très beau souvenir. Elle vinifiait alors, oui oui, un Châteauneuf du Pape. Il faut croire que les planètes étaient alignées le jour de sa visite, car Isabelle venait de voir son ami Matthias Tobler, directeur de Scherer&Bühler AG, une entreprise lucernoise importatrice de vin à qui appartient également le Domaine de Cressier. Matthias Tobler, qui a son propre vignoble dans le Sud de la France, était alors à la recherche d’un ou d’une œnologue avec une expérience et une vision internationale pour le domaine très novateur qu’est la Grillette. Quand Isabelle Ferrando lui demandait «bosser à Neuchâtel, ça vous tente»?, Annie alla chercher sur la carte pour voir où se trouvait Neuchâtel et se dit «pourquoi pas».
… la Nouvelle Zélande, et la Suisse
Après un premier entretien sur le domaine de Matthias et après avoir démontré qu’elle savait également se débrouiller sur les pistes de ski près du Lauberhorn, Annie Rossi fut engagée comme régisseure. Elle est donc responsable de la gestion de la vigne, de la cave et du personnel. Sacré défi à l’âge de 30 ans ! Elle acquiesce en souriant. «Cela demandait un peu de folie». En regardant son parcours, on se rend vite compte que la femme à la silhouette fine et aux yeux pétillants dispose d’une belle énergie et n’a jamais eu froid aux yeux pour relever des défis professionnels et humains. Ainsi a-t-elle su s’imposer comme première femme à la cave dans un environnement encore très machiste chez Paul Mas et a pris un engagement comme caviste en Nouvelle-Zélande. Elle y travaillait pour Cloudy Bay, une maison spécialisée en Sauvignon blanc appartenant au groupe LVMH. Elle travaillait la nuit et se souvient que tout était impressionnant, démesuré. Un exemple: pour arriver en haut de la cuve, il fallait monter trois étages. La Française restait trois mois comme «cellar-hand». Les engagements des œnologues ne durent pas plus de deux à trois mois non plus, c’est le temps de la vinification. Voilà pourquoi des «flying winemakers» voyagent à travers le monde. Annie avait envie de se poser, prendre racine et s’engager dans la totalité du processus du vin. Cressier répondait à tous ces critères, mais les débuts dans cette petite commune dans les hauts de la ville de Neuchâtel n’étaient pas toujours faciles. Elle raconte avoir été surprise que son origine française semblait poser un problème, mais a finalement pu démontrer «que tous les Français ne sont pas des colons», comme elle dit en rigolant.
L’intégration par le Rotary
L’organisation du Rotary a été précieuse pour son intégration. Matthias Tobler, lui-même membre du RC Luzern, lui a ouvert les portes de ce club qu’elle croyait être un cercle de riches et vielles personnes et qu’elle a découvert être un espace de bienveillance où elle peut se ressourcer. «J’y peux être moi-même.» Elle a rejoint le RC Neuchâtel – Vielle-Thielle en octobre 2018, également grâce à d’autres connaissances rotariennes de la région. Un club plutôt campagnard au sein duquel beaucoup de métiers manuels sont représentés. «J’adore échanger avec ces personnes qui sont toutes unies derrière les mêmes valeurs, sensibles à la qualité et au don de soi.»
Matthias Tobler se réjouit de leur collaboration. «Nous avons toujours autant de joie à travailler ensemble. Nous sommes complémentaires et partageons les visions du positionnement des domaines et des méthodes de culture et de vinification. Notre qualité s’est améliorée au fil du temps, et le succès nous donne raison.»
L’avenir du vin suisse
Annie Rossi voit un gros potentiel pour les vins suisses de qualité en rappelant que les Pinots Noirs de Neuchâtel rivalisent aujourd’hui avec les vins de Bourgogne. Elle constate que les Suisses boivent de meilleurs vins aujourd’hui, mais que dans l’ensemble ils boivent moins. Comme ailleurs dans le monde en fait: la consommation de vin baisse au détriment de la bière, des boissons sans ou à faible teneur d’alcool ou alors des «premix» qui sont notamment consommés par une clientèle jeune. La régisseure de la Grillette parle sans détour d’une véritable révolution pour la viticulture. «Difficile pour l’instant de savoir où on va. Mais une chose est sûre: ce nouveau ségment se développe et il a, notamment en ce qui concerne les boissons sans alcool, sa légitimité» La maman d’une fille d’un an a d’ailleurs elle-même cherché des alternatives festives pour pouvoir trinquer sans alcool pendant sa grossesse. Alors pourquoi ne pas réfléchir à un Schorle au raisin par exemple? Cette ouverture d’esprit lui sera bien utile à l’avenir. À part les changements de consommation, les changements climatiques demandent eux aussi de la flexibilité aux viticulteurs et viticultrices.
https://grillette.ch/