À seulement 31 ans, la Rotarienne Roxanne Tison co-dirige la société afflux active dans l’optimisation de processus. Rencontre à l’EPFL Innovation Park à Lausanne avec une jeune ingénieure et entrepreneure qui fait carrière dans le domaine de l’Intelligence Artificielle.
Vous craignez ne rien comprendre à l’informatique et aux algorithmes? Allez voir Roxanne Tison, elle vous expliquera des procédures à première vue ultra-complexes par des exemples très parlants. Elle adore notamment celui des girafes pour illustrer l’algorithme génétique. Plus une girafe est grande, plus facilement elle pourra attraper des feuilles sur les arbres et donc bien se nourrir. Deux grandes girafes bien nourries, suivant le principe de la sélection naturelle, auront plus de probabilité de se reproduire et leur descendance sera probablement également de grande taille. L’algorithme génétique suivant le même principe de sélection converge ainsi vers des solutions optimisées. De plus, une mutation, par exemple une langue plus longue, pourrait apparaitre aléatoirement dans le code génétique d’un bébé girafe lors de la reproduction, lui donnant ainsi un autre avantage pour augmenter sa survie. En reproduisant cette diversification des solutions, l’algorithme augmente ainsi les chances de trouver des solutions intéressantes. À la fin, vous obtenez des girafes qui ont plus d’aisance à se nourrir, ou dans le cas de l’algorithme appliqué à un problème de planification, des plannings permettant une augmentation de la production par exemple.
Fondation d’afflux
En 2017, la jeune femme a consacré sa thèse de master à l’EPF de Lausanne à l’optimisation de systèmes en utilisant de l’intelligence artificielle bio-inspirée, donc inspirée par la nature.
À 31 ans, après cinq années d'expérience en intelligence artificielle et en optimisation de processus, notamment en tant que responsable du développement de solutions en IA, Roxanne Tison, ingénieure en sciences de la vie, a décidé de co-fonder la société afflux en novembre 2022, qu'elle co-dirige aujourd’hui aux côtés d'Aurélien Fragnière et David Besson, tous deux également ingénieurs diplômés de l'EPFL.
Aujourd’hui, l’optimisation de processus est au cœur des services que son entreprise propose à des clients de domaines très variés allant de la gestion de flux patient dans le secteur de la santé, au flux opérationnel dans le secteur industriel.
L'entreprise crée des jumeaux numériques de processus en les cartographiant et les modélisant en 3D. Grâce à ces jumeaux numériques, il est possible de tester des scénarios d’amélioration des processus ou d’investissements matériels en toute sécurité, sans impacter le terrain. De plus, pour résoudre des problèmes complexes d'optimisation, afflux développe des algorithmes d'intelligence artificielle sur mesure, qui sont ensuite testés et améliorés avec le jumeau numérique avant d'être déployés en production. Dans un contexte d’incertitudes énergétiques et économiques, et avec un souci constant de durabilité, l’équipe d’afflux est convaincue qu’il est essentiel d’optimiser l’utilisation des ressources disponibles.
L’IA sur mesure
L’IA au service des entreprises et de ses collaborateurs? C’est justement ce que Roxanne Tison explique lors d’un entretien à «La Forge» pour le magazine du Rotary Suisse/Liechtenstein. La Forge est l’incubateur de l’EPFL Innovation Park où la société afflux est installée pour une année.
L’entrepreneure prend l’exemple du secteur de la santé qui fait face à des défis en termes de coût et de personnel. Comment adapter les processus hospitaliers pour répondre aux besoins croissants de soin? Combien de salles de bloc opératoire ou de places en salle d’attente prévoir lors de la construction d’un futur hôpital? Comment réduire les temps d’attente des patients? Comment optimiser la planification des blocs opératoires en prenant en compte le matériel, les ressources partagées, et les plannings du personnel médical?
Trouver des réponses optimales à ces questions, comme à tant d’autres dans le domaine industriel, implique de combiner un nombre très élevé de données. «Dans ce contexte multifactoriel, une méthodologie de résolution manuelle, via Excel ou d’algorithmie exhaustive atteint vite ses limites», souligne l’ingénieure.
C’est précisément là que l’IA entre en jeux: afflux teste un grand nombre de combinaisons possibles, en développant et affinant un algorithme de concert avec les experts sur le terrain. Roxanne Tison: «Nous faisons du sur-mesure, notre algorithme est adapté aux besoins spécifiques de chaque client. Ce sont eux qui connaissent les contraintes et les besoins. Et d’ajouter: «Cette méthodologie constructive commune est la garantie que notre algorithme va produire des résultats réalistes avec des gains réels applicables sur le terrain.»
Un projet récent a par exemple permis d'augmenter de 30 % le débit d'une ligne de production, sans investissement matériel, simplement en optimisant l'ordre des opérations. Le vice-président de cette multinationale a souligné que, bien que beaucoup parlent d'IA, c'était la première fois qu'il voyait une application concrète apporter un gain significatif déployé en production.
L’incubateur de l’EPFL
Aujourd’hui, l'équipe d'afflux compte cinq personnes: les trois associés, un ingénieur EPFL récemment embauché et un interne en master.
Au début l’IA suscitait visiblement des réserves. «Les gens nous répondaient que c’était un outil à la mode qui ne produisait pas de résultats tangibles dans la réalité d’une entreprise», se souvient Roxanne Tison. Selon elle, des dirigeants avaient fait une mauvaise première expérience, «mais cela était justement dû à des algorithmes qui manquaient d’être taillés sur mesure et adaptés aux réalités du terrain».
Sur ce chemin, l’incubateur de l’EPFL Innovation Park s’est avéré précieux. En effet, les entreprises dont le business plan est accepté se voient mettre à disposition pendant un an des locaux dans le très stimulant écosystème de l’Innovation Park, offrant également un service de mentoring. De plus, afflux collabore avec différents experts et professeurs. L’entreprise publie ainsi, lorsque le client l’accepte, les algorithmes développés lors des projets dans des journaux scientifiques.
Un de ces experts, Zarko Stevic, spécialiste du Supply Chain Management, l’a d’ailleurs également introduite au Rotary; il était le président du RC Lausanne-Ouest en 2023/24, club auquel Roxanne Tison appartient depuis octobre 2023. La première conférence qu’elle a donné devant son club traitait, on l’aura deviné, de l’Intelligence Artificielle. Elle est pour l’instant d’ailleurs la seule personne francophone listée dans Polaris avec cette classification.
Son rapport personnel à l'IA semble tout à fait naturel. En manque d'inspiration pour utiliser les restes du frigo? Roxanne Tison fait appel à ChatGPT pour créer une recette. Ce dernier se révèle également très utile pour des tâches simples, comme la programmation de codes pour la lecture de données. Toutefois, savoir utiliser un outil comme ChatGPT nécessite d'être conscient de ses limites, voire des risques liés à l'IA. «ChatGPT ne produit pas la vérité, mais fournit une réponse jugée plausible par l'outil, basée sur les informations que nous, les humains, lui avons fournies.»
Dans le cadre des algorithmes développés par son entreprise, elle n'a pas été confrontée à des craintes liées à l'IA. Au contraire: «Nous rencontrons plutôt des personnes enthousiastes à l'idée de collaborer avec ce nouvel outil. Par exemple, la personne en charge du planning en milieu hospitalier peut alors se concentrer sur les questions de fond et la stratégie, comme l’achat d’un nouvel équipement ou l’arrivée d’un nouveau médecin, car l'outil gère les contraintes et optimise les solutions. Cela rend son travail plus intéressant et lui libère du temps précieux.»
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