La
sécurité désigne tant une valeur qu’un droit. Pendant de nombreuses années, notre ami Rotarien Jean-Noël Wetterwald du Rotary
Club Sion-Rhône fut actif sur le terrain comme délégué du Haut-Commissariat des
Nations unies pour les réfugiés. A ce titre, il est pleinement habilité à
s’exprimer sur la sécurité humaine.
Quelle
différence établis-tu entre la sécurité des populations comme droit et leur sécurité
en tant que valeur ou première des libertés?
Sans
sécurité, la liberté reste élusive et sans liberté, la sécurité devient
tributaire de l’arbitraire de quelques-uns. À mon avis, Il n’existe pas de
hiérarchie entre liberté et sécurité. Les deux sont nécessaires pour mener une
vie digne mais, contrairement aux libertés individuelles bien codifiées, le
concept de sécurité reste diffus en droit international. Il n’existe pas de
convention internationale qui consacre un droit à la sécurité collective ou individuelle.
Toutefois, le droit international humanitaire – le DIH – et les droits humains
contiennent des dispositions juridiques relatives à la sécurité.
Dans
les années 90, s’est développé le concept de sécurité humaine selon lequel tout
être humain devrait pouvoir vivre à l’abri de la peur et du besoin. La sécurité
humaine va au-delà de la sécurité physique pour inclure une sécurité sociale,
économique et environnementale, mais elle n’a pas débouché sur des normes
juridiques internationales spécifiques. Toutefois, l’insécurité humaine
existante n’est pas tant le résultat de lacunes juridiques, mais surtout la
conséquence du non-respect par les États des normes existantes qu’ils ont
eux-mêmes élaborées.
Dans
les faits, de quelle manière la sécurité au sens large du terme, dont les
composantes sont intimement liées au bien-être des populations, est prise en
compte dans le droit humanitaire?
Le
DIH s’applique dans le cadre de conflits armés. Il oblige les acteurs armés à
respecter certaines normes visant à protéger les personnes qui ne participent
pas ou plus aux hostilités comme les civils, les combattants blessés ou
prisonniers.
Selon le DIH, les Parties au conflit doivent faire la
différence entre la population et les objectifs civils d’une part, les soldats
et les constructions militaires d’autre part. Les attaques ne sont autorisées
que si elles ciblent des objectifs militaires ou des acteurs armés qui prennent
part aux hostilités. À l’inverse, la partie attaquée est tenue de protéger
au mieux sa population civile notamment en l’éloignant des objectifs
militaires. Le cadre juridique devrait donc offrir une sécurité aux populations
concernées. Dans la pratique, on en est bien éloigné. L’actualité vient
douloureusement nous le rappeler.
Justement,
dans le contexte des actuels conflits armés entre la Russie et l’Ukraine, de
même qu’entre Israël et la Palestine, pour les plus médiatisés d’entre eux,
sans oublier au Yémen, quelles formes de sécurité des populations civiles
tragiquement concernés relèvent directement du droit humanitaire?
La liste est longue.
Juridiquement, les populations civiles ont le droit à la vie, à la protection
contre les attaques indiscriminées et les actes de torture, le droit à la
protection contre les mauvais traitements, les abus sexuels et la violence
physique. Le DIH interdit les attaques délibérées visant les civils, les
hôpitaux, les écoles et les infrastructures civiles. Les populations touchées
par les conflits ont droit à l'assistance humanitaire.
Sous
d’autres latitudes où sévit notamment la sécheresse, la sécurité alimentaire et
la sécurité sanitaire se révèlent véritablement problématiques. Quels outils
fournit le droit humanitaire en matière de sécurité active pour remédier à ces
carences?
En l’absence d’un
conflit armé, les outils à disposition relèvent de l’assistance humanitaire
dont les principes sont définis dans diverses résolutions de l’Assemblée générale
de l’Organisation des Nations unies – l’ONU – et les Conventions de Genève. Ce
sont l’humanisme, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance
opérationnelle. Les travailleurs humanitaires doivent avoir un libre
accès aux bénéficiaires dans des conditions de sécurité qui permettent la
distribution et le contrôle de l’assistance distribuée.
La
sécurité psychologique des populations sur le plan collectif, mais aussi
individuel, fait-elle l’objet d’un chapitre spécifique du droit humanitaire, et
de quelle façon celui-ci la délimite sachant que son approche reste subjective?
La
santé mentale a été négligée par le DIH. Il n’existe pas de convention
internationale spécifique sur cet aspect essentiel de la sécurité humaine.
Selon l’ancien président du Comité international de la Croix-Rouge – le CICR – Peter
Maurer, les services de santé mentale ont été trop longtemps relégués au second
plan dans les situations de conflit, de violence et de catastrophe. Il a
précisé que dans les régions en proie à un conflit, une personne sur cinq
souffrirait d'une forme de maladie mentale; ce taux est trois fois plus élevé
que dans la population générale au niveau mondial. Ces chiffres me semblent
sous-estimés. En l’absence de normes conventionnelles, c’est donc au niveau de
l’action humanitaire qu’il faut mettre l’accent avec un soutien spécialisé et
systématique en santé mentale.
Dans
un monde en proie aux guerres et à la violence généralisée due entre autres à
l’intolérance, la sécurité des populations se révèle bien souvent bafouée.
Comment peuvent-elles encore croire en l’efficacité du droit humanitaire et
même du Conseil de sécurité de l’ONU?
On
peut déplorer la paralysie de l’ONU, mais il incombe aux États d’en assurer le
bon fonctionnement. L’ONU demeure perfectible, surtout au niveau du Conseil de
sécurité. Il est toutefois irréaliste d’envisager toute architecture de paix et
de sécurité qui soit supranationale. La pertinence du DIH dépend également de
son respect par les États. Malgré tout, les travailleurs humanitaires
parviennent encore à venir en aide aux personnes en détresse. C’est dérisoire
au regard des objectifs ambitieux énoncés par la Charte de l’ONU et le DIH,
mais néanmoins vital pour chacune des personnes concernées.
People of Action:
Membre
du Rotary Club Sion-Rhône depuis 2015, Jean-Noël Wetterwald (1954) le présida
durant la période 2022/23. Après avoir achevé ses études de droit à Neuchâtel,
il travailla pendant 34 ans au Haut-Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés (HCR) en Asie, en Amérique Latine, puis dans les Balkans. Bien que
retraité, notre ami Jean-Noël collabora encore à des missions humanitaires en
Colombie, en Ukraine et en Russie. Fondé à Genève en décembre 1950, ce programme
de l’ONU a pour but nel de protéger les réfugiés, de trouver des solutions
durables pour les aider à reconstruire leur vie et de veiller à l'application
de la Convention de Genève sur les Réfugiés de 1951. À la fin de l’année 2022,
le HCR totalisait près de 109 millions de personnes dans le monde forcées de
fuir leur foyer.
Jean-Noël,
qui vit à Sion depuis 2012, consacre aussi sa «nouvelle vie» à la rédaction
d’ouvrages, dont trois ont déjà été publiés: D’exils, d’espoirs et
d’aventures (Éditions Presses du Belvédère, 2014), suivi du Nouveau Roi
de Naples (Éditions Mon Village, 2017) et de Témoin d’une déchéance (Éditions
Mon Village, 2021). Sur le plan journalistique, il participa également
au blog du quotidien Le Temps.