"La Sécurité humaine va au-delà de la sécurité physique"

dimanche 18 février 2024

Didier Planche

La sécurité désigne tant une valeur qu’un droit. Pendant de nombreuses années, notre ami Rotarien Jean-Noël Wetterwald du Rotary Club Sion-Rhône fut actif sur le terrain comme délégué du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. A ce titre, il est pleinement habilité à s’exprimer sur la sécurité humaine.

Quelle différence établis-tu entre la sécurité des populations comme droit et leur sécurité en tant que valeur ou première des libertés?

Sans sécurité, la liberté reste élusive et sans liberté, la sécurité devient tributaire de l’arbitraire de quelques-uns. À mon avis, Il n’existe pas de hiérarchie entre liberté et sécurité. Les deux sont nécessaires pour mener une vie digne mais, contrairement aux libertés individuelles bien codifiées, le concept de sécurité reste diffus en droit international. Il n’existe pas de convention internationale qui consacre un droit à la sécurité collective ou individuelle. Toutefois, le droit international humanitaire – le DIH – et les droits humains contiennent des dispositions juridiques relatives à la sécurité.

Dans les années 90, s’est développé le concept de sécurité humaine selon lequel tout être humain devrait pouvoir vivre à l’abri de la peur et du besoin. La sécurité humaine va au-delà de la sécurité physique pour inclure une sécurité sociale, économique et environnementale, mais elle n’a pas débouché sur des normes juridiques internationales spécifiques. Toutefois, l’insécurité humaine existante n’est pas tant le résultat de lacunes juridiques, mais surtout la conséquence du non-respect par les États des normes existantes qu’ils ont eux-mêmes élaborées.

Dans les faits, de quelle manière la sécurité au sens large du terme, dont les composantes sont intimement liées au bien-être des populations, est prise en compte dans le droit humanitaire?
Le DIH s’applique dans le cadre de conflits armés. Il oblige les acteurs armés à respecter certaines normes visant à protéger les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités comme les civils, les combattants blessés ou prisonniers.

Selon le DIH, les Parties au conflit doivent faire la différence entre la population et les objectifs civils d’une part, les soldats et les constructions militaires d’autre part. Les attaques ne sont autorisées que si elles ciblent des objectifs militaires ou des acteurs armés qui prennent part aux hostilités. À l’inverse, la partie attaquée est tenue de protéger au mieux sa population civile notamment en l’éloignant des objectifs militaires. Le cadre juridique devrait donc offrir une sécurité aux populations concernées. Dans la pratique, on en est bien éloigné. L’actualité vient douloureusement nous le rappeler.

Justement, dans le contexte des actuels conflits armés entre la Russie et l’Ukraine, de même qu’entre Israël et la Palestine, pour les plus médiatisés d’entre eux, sans oublier au Yémen, quelles formes de sécurité des populations civiles tragiquement concernés relèvent directement du droit humanitaire?
La liste est longue. Juridiquement, les populations civiles ont le droit à la vie, à la protection contre les attaques indiscriminées et les actes de torture, le droit à la protection contre les mauvais traitements, les abus sexuels et la violence physique. Le DIH interdit les attaques délibérées visant les civils, les hôpitaux, les écoles et les infrastructures civiles. Les populations touchées par les conflits ont droit à l'assistance humanitaire.

Sous d’autres latitudes où sévit notamment la sécheresse, la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire se révèlent véritablement problématiques. Quels outils fournit le droit humanitaire en matière de sécurité active pour remédier à ces carences?

En l’absence d’un conflit armé, les outils à disposition relèvent de l’assistance humanitaire dont les principes sont définis dans diverses résolutions de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies – l’ONU – et les Conventions de Genève. Ce sont l’humanisme, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance opérationnelle. Les travailleurs humanitaires doivent avoir un libre accès aux bénéficiaires dans des conditions de sécurité qui permettent la distribution et le contrôle de l’assistance distribuée.

La sécurité psychologique des populations sur le plan collectif, mais aussi individuel, fait-elle l’objet d’un chapitre spécifique du droit humanitaire, et de quelle façon celui-ci la délimite sachant que son approche reste subjective?
La santé mentale a été négligée par le DIH. Il n’existe pas de convention internationale spécifique sur cet aspect essentiel de la sécurité humaine. Selon l’ancien président du Comité international de la Croix-Rouge – le CICR – Peter Maurer, les services de santé mentale ont été trop longtemps relégués au second plan dans les situations de conflit, de violence et de catastrophe. Il a précisé que dans les régions en proie à un conflit, une personne sur cinq souffrirait d'une forme de maladie mentale; ce taux est trois fois plus élevé que dans la population générale au niveau mondial. Ces chiffres me semblent sous-estimés. En l’absence de normes conventionnelles, c’est donc au niveau de l’action humanitaire qu’il faut mettre l’accent avec un soutien spécialisé et systématique en santé mentale.

Dans un monde en proie aux guerres et à la violence généralisée due entre autres à l’intolérance, la sécurité des populations se révèle bien souvent bafouée. Comment peuvent-elles encore croire en l’efficacité du droit humanitaire et même du Conseil de sécurité de l’ONU?
On peut déplorer la paralysie de l’ONU, mais il incombe aux États d’en assurer le bon fonctionnement. L’ONU demeure perfectible, surtout au niveau du Conseil de sécurité. Il est toutefois irréaliste d’envisager toute architecture de paix et de sécurité qui soit supranationale. La pertinence du DIH dépend également de son respect par les États. Malgré tout, les travailleurs humanitaires parviennent encore à venir en aide aux personnes en détresse. C’est dérisoire au regard des objectifs ambitieux énoncés par la Charte de l’ONU et le DIH, mais néanmoins vital pour chacune des personnes concernées.

People of Action:

Membre du Rotary Club Sion-Rhône depuis 2015, Jean-Noël Wetterwald (1954) le présida durant la période 2022/23. Après avoir achevé ses études de droit à Neuchâtel, il travailla pendant 34 ans au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Asie, en Amérique Latine, puis dans les Balkans. Bien que retraité, notre ami Jean-Noël collabora encore à des missions humanitaires en Colombie, en Ukraine et en Russie. Fondé à Genève en décembre 1950, ce programme de l’ONU a pour but nel de protéger les réfugiés, de trouver des solutions durables pour les aider à reconstruire leur vie et de veiller à l'application de la Convention de Genève sur les Réfugiés de 1951. À la fin de l’année 2022, le HCR totalisait près de 109 millions de personnes dans le monde forcées de fuir leur foyer.
Jean-Noël, qui vit à Sion depuis 2012, consacre aussi sa «nouvelle vie» à la rédaction d’ouvrages, dont trois ont déjà été publiés: D’exils, d’espoirs et d’aventures (Éditions Presses du Belvédère, 2014), suivi du Nouveau Roi de Naples (Éditions Mon Village, 2017) et de Témoin d’une déchéance (Éditions Mon Village, 2021). Sur le plan journalistique, il participa également au blog du quotidien Le Temps.

Le Rotarien Jean-Noël Wetterwald en mission en 2009 dans la région de Nariño, au sud de la Colombie