Plaidoyer pour la vieillesse

dimanche 22 octobre 2023

Didier Planche

En son temps, le Général de Gaulle avait déclaré que « la vieillesse est un naufrage » ; il faisait certainement référence à sa propre sénilité. Ce soi-disant naufrage ou déclin, la société se plaît trop souvent à le stigmatiser pour mieux accabler la vieillesse de tous les maux, en particulier économiques. Alors que les aînés, femmes et hommes qui constituent la vieillesse ou troisième âge, méritent d’être honorés, sollicités et écoutés, forts de leur expérience de la vie.

En Suisse, la moyenne d’âge de l’ensemble des membres des Rotary Clubs avoisine les 63 ans. Par conséquent, la majorité d’entre eux appartiennent à la catégorie des aînés. Or, ces Rotarien(ne)s confirmé(e)s forment la valeur ajoutée de l’institution, sa véritable ressource. Leur présence s’avère dès lors en tous points justifiée, même si, à l’évidence, seul le rajeunissement de ses effectifs garantit sa pérennité. 

Le véritable enjeu de la vieillesse se situe dans sa valorisation. Surtout que la société technocratique et du jeunisme tend à la déprécier, à la discréditer, au nom de la sacro-sainte performance économique et du profit financier, son funeste corollaire ; car la plupart du temps retraités et affaiblis physiquement, voire même atteints dans leur organisme, les aînés coûteraient beaucoup trop chers à la collectivité, notamment en matière de santé publique, de financement des retraites, de déséquilibre démographique, par rapport... à leur rentabilité ! Une telle perception de la vieillesse se révèle mesquine, étriquée et bien éloignée de la réalité qui la caractérise, de l’essentiel même : la transmission du savoir, des connaissances et tout simplement de l’expérience et de l’expérimentation de la vie avec laquelle, ontologiquement, elle entretient une relation privilégiée. Cette transmission, justement, découle de la conscience du devoir qu’ont les aînés, ayant assimilé la dimension chimérique des droits déraisonnablement revendiqués par la collectivité. Leur compréhension de l’existence les rend donc pertinents dans les conseils avisés qu’ils prodiguent à la jeunesse, laquelle, trop fréquemment, boit l’erreur et l’ignorance à grands traits.

Pour le philosophe et homme d’État romain Cicéron (106-43 av. J.-C.), la vieillesse parachève l’existence terrestre. Elle correspond à une sorte d’apothéose, d’acmé, laquelle n’induit toutefois pas systématiquement la sagesse sur le plan philosophique. En effet, celle-ci ne résulte pas de l’avancement en âge ni de l’entérinement de l’empirisme, mais plutôt de la substance du vécu, de l’exercice de la raison et surtout de l’éveil du soi authentique grâce au dessaisissement du paraître, de l’artificiel, du superfétatoire, du narcissisme, en bref de l’ego. Autrement dit, la sagesse puise sa source dans le travail effectué en profondeur sur le soi, au fil de la vie, et dans les liens tissés avec le sacré qui autorise l’ascension de l’Être. 

En marge de leur sagesse effective ou toute relative, les aînés ont a minima compris la nécessité de s’extraire de l’absurdité du grand théâtre des Hommes. Désormais, ils prennent le temps de se réaliser dans l’émerveillement de l’ici et maintenant, entre stoïcisme et épicurisme, puisqu’ils ont acquis le privilège de définir son ordonnancement. Quant à leur âme qui ne subit pas la moindre sénescence ni nécrose cellulaire, elle « pense toujours » selon le philosophe français René Descartes (1596-1650) et se libère par l’atrophie des convoitises et des vanités humaines. Et puis les aînés ont appris à s’affranchir des passions et à apprivoiser la mort imminente, l’épreuve suprême, pour mieux savourer leur vie. 

Vecteur de stabilité et de fiabilité

En comparaison avec les sociétés occidentales qui manquent singulièrement de déférence et de compassion à l’égard de leurs aînés, la plupart des cultures traditionnelles africaines les respectent, car elles considèrent la vieillesse comme la concrétisation d’une certaine sagesse, un vecteur de stabilité et de fiabilité, en quelque sorte un cadre de référence, abstraction faite de toute considération philosophique et de toute régression des facultés mentales ; en fait, les aînés symbolisent des Êtres qui ont su traverser tous les dangers de l’existence, et dont les conseils empiriques s’avèrent précieux. Aussi, ils sont écoutés, consultés et incarnent même un rôle de mentor auprès de la jeunesse pour libérer son potentiel, puis en assurer le maintien, la subsistance et la croissance. Les aînés symbolisent aussi l’énergie, disons spirituelle ; elle leur sert à prêter une oreille compatissante aux souffrances des autres membres de leur communauté, afin d’essayer de les résoudre grâce aux épreuves identiques qu’ils ont accumulées. Amenés à devenir des ancêtres, ils sont en plus proches de l’autre monde et interagissent avec la dimension spirituelle de la vie.

A propos des maisons de retraite ou EMS qui hébergent des aînés, les cultures traditionnelles africaines les récusent, estimant que la jeunesse ne peut plus bénéficier quotidiennement de leur soutien émotionnel ni de leurs conseils opportuns. C’est pourquoi elles préfèrent leur maintien dans leur famille respective pour préserver des liens étroits avec ses membres. En outre, elles regrettent que les aînés soient relégués au rang de simples instruments de production jugés inutiles ou inutilisables et constatent qu’ils s’ennuient à mourir dans les EMS, en plus d’y être infantilisés. Ces cultures songent que la vieillesse effraie les actifs occidentaux, parce qu’elle révèle sa proximité avec l’inconnu, l’imprévisible, l’inéluctable.

Sous nos latitudes occidentales, deux facteurs en particulier sont néanmoins à prendre en considération, rendant quasiment incontournables les placements de certains aînés en EMS : la gravité des pathologies due à l’allongement de l’espérance de vie, à l’instar de la maladie d’Alzheimer et de toutes les formes d’aliénations mentales, et le rythme de vie effréné des actifs qui n’ont plus guère la faculté de s’occuper à plein temps de leurs aînés, mais également par égoïsme... Certes, les situations diffèrent selon les conditions de vie et les croyances en vigueur sur chaque continent, mais chez les peuples du Sud et globalement méridionaux les relations avec les aînés s’avèrent plus empathiques que celles des Occidentaux, trop couramment esclaves de leur matérialisme et de leur égocentrisme.


Trois questions au Rotarien Bernard Attinger (1942), l’un des fondateurs et doyens du RC Sion-Rhône

Considères-tu la vieillesse comme un déclin ou plutôt comme un accomplissement, par exemple celui d’être enfin soi-même ?

Ta question se révèle difficile à répondre, mais je crois que je suis toujours resté moi-même, n’avoir jamais cédé au paraître. Oui, je considère avoir accompli ma vie et même assez bien, sans prétention aucune. Toutefois, je sens le déclin qui guette. Je suis encore en forme sur le plan intellectuel, mais mes facultés physiques diminuent. Normal à 80 ans !

Compte tenu de ses diverses expériences existentielles, l’aîné – femme et homme – devient-il « systématiquement » vertueux et pénétré de sagesse ?

Par « la force des choses », l’aîné devient plus vertueux. Un de mes oncles disait : « Les rigidités se déplacent… » Oui, l’aîné prend du recul, car l’expérience de son vécu lui apporte la relativité, et donc un peu de sagesse.

Qu’apporte un(e) Rotarien(ne) aîné(e) à son Rotary Club et, en général, reçoit-il l’écoute méritée ?

L’aîné devient la mémoire de chaque Rotary club. Cependant, il doit accepter l’évolution… En ce qui me concerne, je sais encore me faire écouter…


Rotarien Bernard Attinger, l’un des fondateurs et doyens du RC Sion-Rhône : « Je sais encore me faire écouter… »