Une ambassadrice scientifique passionnée

dimanche 17 septembre 2023

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Quand la Rotarienne Barbora Bruant Gulejova voit l’intérêt des jeunes pour des carrières scientifiques baisser à travers le monde, elle ne peut pas rester les bras croisés. La docteure en physique met en œuvre son expertise de dix ans dans la communauté du CERN dans le vulgarisation et éducation scientifique, mais aussi dans le transfert des connaissances de science en industrie.  

Lorsque l’on grandit à deux pas d’un château qui semble tout droit sorti d’un compte de féés, des rêves de princesse peuvent facilement faire partie de l’enfance. Si Barbora Bruant Gulejova s’est en effet plus tard marié au magnifique château Bojnice dans son pays natal, la Slovaquie, ses rêves - professionnels du moins - se sont pourtant plutôt révélés être une bataille pour quitter des tours d’ivoire. Mais commençons par le début.

Quand la physique est « super inspirante »

La petite Barbora, fille de deux parents médecins généralistes, est très douée pour les mathématiques. Rien d’extraordinaire pour celle qui dit toujours avoir éprouvé du plaisir à solutionner des problèmes de maths avec beaucoup de facilité. Pourtant, quand elle passe l’examen d’entrée aux classes spécialisées en mathématiques et physiques au gymnase avec le maximum de points possibles en mathématiques comme en langue, les contours d’un parcours scolaire scientifique hors normes sont dessinés. Qu’il soit réalisé par la suite est le fruit de beaucoup d’engagement personnel, entre autres par sa participation dès l'école secondaire à de nombreuses activités, compétitions et séjours extracurriculaires en lien avec la physique. 

Lors de notre rencontre pour ce portrait, Barbora Bruant Gulejova se souvient des olympiades des mathématiques, des tournois internationaux de jeunes physiciens ou des séminaires de correspondance de physique sur des problèmes du quotidien à résoudre qui souvent nécessitaient une expérimentation à la maison et avec les amis. Des présentations aux ateliers pratiques en physique jusqu’au semaines passées avec les 30 meilleures jeunes : « C’était super inspirant, car comprendre la physique nous permettait de comprendre les phénomènes de la nature, donc la vie de tous les jours », s’exclame-t-elle au volant de sa voiture qu’elle conduit de Lausanne à Meyrin, plus précisément au CERN où elle a son bureau depuis dix ans. 

Moteur d’innovation

À Lausanne, elle a eu rendez-vous avec le département vaudois de la formation dans le but de pousser vers un changement du curriculum scientifique dans les écoles secondaires et les gymnases. Car la scientifique se rend bien compte qu’elle fait partie « d’un petit pourcentage de personnes passionnées par défaut », et que ce pourcentage ne grandira pas, aussi longtemps que les sciences sont enseignées comme une matière abstraite, confinées dans des formules sur un tableaux noir. Elle le déplore d’autant plus qu’elle voit l’intérêt des jeunes pour des carrières scientifiques baisser à travers le monde. « Or, la science est le plus grand moteur d’innovation et de prospérité économique d’un pays », dit-elle. En Suisse, les branches de l’industrie basées sur la physique contribuent fortement au PIB juste après le secteur des finances. 

Vecteur de durabilité

Après avoir passé son doctorat à l’EPFL, elle est bien placée pour savoir que la Suisse continue à occuper le premier rang du « Global Innovation Index » notamment aussi grâce à son investissement dans les meilleurs cerveaux qui viennent souvent de l’étranger. Ce constat l’interpelle. « Ce n’est pas durable. Il faudrait plus de Suissitude dans le monde scientifique suisse ». 

La durabilité est un terme clé chez cette femme débordante d’énergie qui fêtera ses 43 ans en décembre de cette année. C’est une des raisons pour laquelle elle a consacré ses cinq ans de doctorat à la fusion thermonucléaire, « source d’énergie propre, sûre, inépuisable ».

Barbora a fait ses études de physique à l’université de Bratislava, tout en menant sa propre recherche et en travaillant dans un groupe de recherche appliqué en physique de plasma. Ces activités lui ont permis d'entrer dans le milieu scientifique international à travers de conférences dès ses 19 ans déjà. Partir dans d’autres pays l’a toujours stimulée, elle voyageait déjà dans le cadre de ses activités extracurriculaires quand elle avait 15 ans. En plus, elle a également étudié à la faculté de management et d’économie – c’était la matière la plus proche pour elle qui aurait souhaité compléter par des études lui permettant de s’engager dans la voie diplomatique.

L’envie de la diplomatie

Son rêve de diplomatie l’a fait pousser les portes du département des affaires étrangères en Slovaquie où elle a fait un stage, plus tard celles de la mission permanente de la Slovaquie auprès des Nations Unies à Genève. Et après son doctorat elle partait à Vienne où elle était éditrice scientifique à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (IAEA) d’un livre sur la thermofusion nucléaire. Son parcours reflète un choix délibéré d’une carrière multidisciplinaire qui englobe la science de base, la science appliquée, le management, l’économie, l’industrie, le monde politique, diplomatique et onusien. « Il m’a permis de créer des synergies et ainsi augmenter la valeur pour la société », résume-t-elle, toute en dirigeant sa voiture depuis l’autoroute vers la sortie Meyrin. Nous voyons apparaître l’emblème du CERN, le globe en bois, et aussi l’imposant chantier du « Science gateway ». Barbora est très fière de faire partie de la famille du CERN qu’elle appelle l'endroit le plus inspirant qu’elle ne connaisse. 

Au CERN, elle a d’abord été responsable de communication d’un réseau international de transfert des connaissances en physique des hautes énergies géré par le CERN. Ce travail lui a ouvert les yeux sur tout ce que le CERN fait pour la société – ce que la société ignore souvent. Puis elle a joint le groupe de communication, éducation et vulgarisation du CERN où elle a été responsable du développement stratégique d’un groupe international de la vulgarisation de physique de particules (IPPOG) pendant huit ans, groupe dont le CERN fait partie. Grâce à ses expériences, elle a, entre autres, pu s'investir dans un mandat du gouvernement slovaque, en tant que liaison officer entre le CERN et la Slovaquie pour la collaboration économique entre la science et les entreprises, les autorités politiques et aussi les écoles. Actuellement, elle est membre du groupe de travail au sein du ministère de la recherche slovaque pour l’engagement de la Slovaquie dans les grandes infrastructures de recherche. 

La science à l’école

Barbora Gulejova explique qu’elle a depuis toujours été une ambassadrice passionnée de la valeur de la science pour la société et le développement durable. « Présenter la science dans le contexte de la vraie vie permet de changer l'attitude du public – que cela concerne une ministre ou une fille a l'école. » Parlons de l’école, justement. « Sans nouvelle génération d’experts scientifiques et techniques, il n’y aura pas d'innovation ni progrès économique », prévient-elle. Pour pallier ce risque, elle développe depuis cinq ans un projet avec la communauté internationale des experts multidisciplinaires pour sensibiliser les jeunes et les responsables de l’éducation. Le projet s’appelle Youth@STEM4SF ((Youth at STEM for Sustainable Future) et bénéficie, entre autres, du soutien de l’Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT), de la Société Suisse de Physique (SPS) et de la fondation education21.ch. 

Le premier pilote de ce projet qui comprend la visite de scientifiques en classe et la visite de la classe dans deux entreprises a été réalisé avec le gymnase du Bugnon à Lausanne et deux entreprises, Solstis et ABB. Plusieurs écoles dans d’autres cantons sont intéressées d’implémenter le projet, car il comble deux lacunes dans l’enseignement des sciences de bases : la connexion avec le développement durable et le monde réel. L’interaction avec les scientifiques permet aussi de casser les stéréotypes sur les femmes en sciences, dont Barbora a largement fait l’expérience. Jolie comme elle est, elle ne peut pas être intelligente, a-t-elle entendu dire. Elle s’est malgré tout imposée, et notamment au travers de ses excellents résultats, sans pour autant jamais cacher sa féminité. Aujourd’hui, elle se réjouit de la reconnaissance du projet par la Conférence suisse des services de l’enseignement secondaire II et education21.ch. 

Cette fondation a pour but l’éducation au développement durable et appelle le projet la « parfaite illustration d’un cas pionnier de mise en œuvre du nouveau Plan d’études cadre en lien avec le thème de la durabilité ». Fin septembre, Barbora présentera le projet à Berne à la prochaine Conférence nationale du secondaire II. Le moment est propice : l’UNESCO a déclaré cette année comme l’année internationale des sciences de bases pour le développement durable. Science, innovation, économie, durabilité, politique et formation : tout est réuni dans ce projet. Cela vaut également pour l’ONG qu’elle s’apprête à créer à Genève sous le nom de S4SF - science for sustainable future qui vise à créer le dialogue entre la science et la société. « Ces engagements sont le résultat de tout ce que je suis », conclut-elle.

La science et le Rotary

La scientifique qui habite juste de l’autre côté de la frontière avec son mari français fait partie du RC Genève International depuis 2016. C’est le premier club en Suisse à avoir créé un club Interact, et Barbora a eu l’immense plaisir de travailler dans le « youth empowerment committee » qui a co-organisé avec Rotary, IPPOG et autres partenraires des projets pilotes comme « Creating ambassadors for science in society » et « Girls, do physics! ». Elle est très contente du soutien moral du Rotary via son réseau et ses expériences, qui peuvent aider à élargir l'impact. « Je souhaite que le Rotary prenne conscience que la science a sa place dans ses thèmes à lui ; elle est à la base de tous ses engagement clés. » 

Elle a fini de manger son sandwich, nous sommes assises sur l’escalier du Globe pour quelques instants encore avant qu’elle ne se dépêche de participer à une formation pour bientôt guider le public à travers le nouveau « Science Gateway ». Ce portail de la science du CERN se veut être un centre emblématique pour l'éducation et la communication qui permettra à des publics de tous âges et de tous horizons de s'intéresser aux découvertes, aux recherches scientifiques et aux technologies du CERN. En tant que maman de deux garçons de quatre et sept ans, elle adore le fait qu’au Gateway elle va travailler avec des enfants à partir de cinq ans. « Je suis persuadée qu'il faut soutenir la curiosité naturelle des enfants depuis leur bas âge. »

La Rotarienne Barbora Bruant Gulejova