Pour son voyage annuel, le RC Genève-Lac a choisi Palerme et sa diversité culturelle. Le périple fut d’autant plus intense que les participants ont pu découvrir la lutte courageuse de l’association Addiopizzo face à la mafia sicilienne.
En 2004, un groupe d’étudiants palermitains décide de créer un café littéraire et découvre que l’entreprise doit payer une taxe (le pizzo) à la mafia, à l’instar – à l’époque – de huit commerces sur dix. À l’indignation devant le racket succède le débat qui donne naissance à un mouvement de résistance civile. Première action d’éclat, les fondateurs couvrent les murs de la ville d’affichettes bordées de noir — sur le modèle des avis de décès – et porteuses d’une formule choc : « un peuple entier qui paie le pizzo est un peuple sans dignité ». La formule touche la population dans son orgueil et son retentissement dépasse les frontières de la Sicile pour gagner toute l’Italie, sidérée de voir que des citoyens, alors encore anonymes, osent publiquement affronter Cosa Nostra. L’initiative doit s’enraciner dans la société sicilienne et susciter des adhésions. L’anonymat risque d’être contreproductif.
Une conférence de presse est organisée. À visages découverts, les fondateurs dévoilent leur identité et décrivent leurs objectifs. Le 24 juin marque la naissance d’Addiopizzo qui s’attèle à convaincre et à réunir le plus grand nombre d’entrepreneurs, commerçants, restaurateurs, hôteliers, agences de location de voiture, etc. et de clients. Aujourd’hui, l’association compte des antennes à Catane et Messina, 1200 adhérents professionnels et plus de 10’000 « consommateurs critiques ». Elle s’appuie aussi sur des avocats prêts à porter main forte aux commerçants face aux pressions mafieuses. Leurs objectifs, libérer la parole et rompre l’omerta autour de la mafia et du pizzo, réveiller les consciences, développer un circuit économique propre (non entaché par le pizzo), ne pas laisser seuls ceux qui s’opposent à la mafia, se libérer de l’emprise de cette dernière par l’imposition de cette taxe.
Convaincre les entreprises de ne pas payer le pizzo (qui rapporte des milliards !) et les encourager à apposer un autocollant sur leur porte ou vitrine représente la première concrétisation du mouvement. Il n’a aussi de sens que si les clients, parmi lesquels des touristes, privilégient ces entreprises.
Investir dans le long terme est aussi une nécessité. Il faut informer et en particulier sensibiliser les jeunes. Les membres d’Addiopizzo -tous bénévoles- se rendent dans les écoles et autres lieux de formation afin d’expliquer les mécanismes du crime organisé et l’impérieuse nécessité de s’y opposer. L’association soutient ou génère des projets culturels, éducatifs et sociaux, tous en lien avec le respect du droit, de la démocratie réelle et de la solidarité.
Addiopizzo Travel
Afin de financer son action, Addiopizzo a créé une agence de voyage qui organise des visites de Palerme et de la Sicile. C’est ainsi que le club a bénéficié du réseau de l’association et a découvert les merveilles culturelles, artistiques et gastronomiques de la ville dans le respect de la démarche antimafia. Un voyage dans les rues et dans le temps qui a permis de prendre conscience de la réalité de la présence mafieuse et d'éliminer de quelques idées reçues par trop romantiques, héritées notamment du cinéma américain.
La mafia n’a pas réagi aux actions d’Addiopizzo et préfère faire profil bas. Le renforcement de l’arsenal législatif, la multiplication des arrestations et condamnations et la réaction de la population en sont certainement les raisons.
Depuis quelques années, la mafia sicilienne semble avoir renoncé ou presque au recours à la violence qui a marqué l’île dans les années 1980-1990. Personne, cependant, n’oublie les attentats qui ont coûté la vie à de nombreuses figures de la politique, de la police et de la justice. Les visages des juges Falcone et Borsellino, assassinés en mai et en juillet 1992, dominent toujours le paysage urbain.
Le crime organisé n’a de loin pas disparu. Populisme, non-respect du droit, collusions diverses (financières, politiques, religieuses, économiques) et corruptions gangrènent la société. La mafia n’est jamais loin.
Certes, une association telle qu’Addiopizzo ne parviendra pas à faire disparaître le crime organisé. Son action a le mérite de libérer progressivement la société civile de l’emprise mafieuse. Addiopizzo a introduit un changement culturel et social. Ce que les Siciliens ne pouvaient pas nommer, ils le peuvent, ce qu’ils ne pouvaient pas dénoncer, ils le font, ce qu’ils ne pouvaient pas refuser, ils le refusent. C’est déjà énorme.