Comment éradiquer l’image du Rotary comme « cénacle d’hommes riches » et mettre en avant son engagement « aux côtés de ceux qui ne peuvent pas s'aider eux-mêmes » ? Un petit sondage montre qu’il reste encore du chemin à faire.
Dans son récent message de Gouverneur du District 1990, Pierre-François Cuénoud confie qu’il s’est senti interpellé. Interpellé par la question de la présidente d’une organisation de bienfaisance nationale qui lui avait demandé un soutien de l’ordre d’une centaine de milliers de francs, invoquant que cela ne pouvait pas représenter grand-chose « pour son cénacle d’hommes riches ». Quelle image a-t-on de notre organisation rotarienne en dehors de nos rangs, se demande-t-il alors face à cette idée exprimée par « une personnalité au bénéfice d’une remarquable expérience politique à large échelle » ? Et de rajouter : « Si elle est si éloignée de la réalité, n’en sommes-nous pas aussi responsables » ? Le Valaisan propose des pistes de réflexions intéressantes sur la pluralité des clubs. « Nous comptons très peu d’artistes et de saltimbanques dans nos rangs. Bien que sans fonction dirigeante, ne nous aideraient-ils pas à réaliser de grands rêves, comme le souhaite notre présidente mondiale ? » Ou encore pourquoi ne pas inclure dans les clubs « des personnes en situation de handicap plutôt que seulement les aider ? »
« Patriarches misogynes »
Au vu du résultat d’un petit sondage effectué pour la rédaction de ce texte, bien qu’il n’aspire à aucune « valeur scientifique », la question de la représentation et de la perception par le public se pose clairement pour ne pas dire cruellement. Vieux, patriarches, blancs, bidonnants et misogynes : voilà comment E., une jeune femme de 33 ans qui n’aimerait pas voir son nom apparaître dans le magazine, imagine « les patrons qui ont réussi dans leur vie professionnelle » se réunir entre eux, la bienfaisance n’étant qu’un prétexte pour se voir. E. ne connaît pas personnellement des Rotariens ou des Rotariennes et trouve au fonds « horrible de les confronter avec mes aprioris ». Mais, l'idée est là. Pareil pour L., jeune homme de 28 ans. Il imagine le Rotary comme un club fermé, presque sectaire.
Engagement social, mais élitisme
Christian Isler, 32 ans, codirecteurde la Fédération Suisse des Parlements des Jeunes FSPJ, est un peu moins sévère. Pour lui, le Rotary est une notion familière. Il connaît personnellement des Rotariens et des Rotariennes. Interrogé sur les valeurs du Rotary, Isler mentionne l'engagement du club pour des projets sociaux en Suisse et évoque le contexte économique qu’il prête au club. Il estime donc que ces projets visent à soutenir des personnes défavorisées dans la société. Pourtant, Christian Isler ne pourrait actuellement pas s'imaginer devenir membre du Rotary lui-même. « J'ai toujours eu l'impression que le Rotary était un club fermé, plutôt élitiste, réservé aux hommes d'affaires et auquel on ne peut adhérer que sur invitation. Pour moi, de tels clubs ne sont en soi pas très attrayants pour une adhésion, bien que je trouve que l'engagement social est très louable. »
L’image d’un club « exclusif où l’on peut rentrer uniquement si on a des connaissances et si on est aisé financièrement » est également partagée par Denise Mammino, 33 ans, adjointe et chargée de communication du Mouvement des Aînés Vaud. Bien qu’active pour une association qui s’engage pour les séniors, Denise Mammino, 33 ans, a une perception de jeune femme. Elle n’exclut pourtant pas de rejoindre un club à l’avenir. « Cela dépendra des personnes que je pourrais rencontrer et de la typologie d’activités proposées. Je sais que le Rotary fait des donations ponctuelles pour soutenir différents projets. »
Mieux expliquer
Le futur Gouverneur du District 1990 dès juillet de cette année, Simon Bichsel, avait visiblement vu juste lorsqu’il disait devant l'assemblée à Berne en mars 2023 qu’à l'avenir, les membres du Rotary devraient mieux expliquer ce que faisait leur organisation. Interrogé pour cet article, il ajoute que « bien que nous soyons convaincus, en tant que Rotariens, de ce que nous faisons, cette perception de nous-mêmes ne coïncide souvent pas avec la perception des autres ». Il invite donc à ne pas seulement faire le bien, mais d’en parler autour de soi, d’évoquer les objectifs du Rotary également. « Ma devise : Rotary - Valeurs Formation Profession se prête particulièrement bien à cela. » Pour Simon Bichsel il n’y a pas de doute : pour ceux qui connaissent le Rotary, c'est une organisation de service sérieuse. Pour ceux qui ne connaissent pas le Rotary, les Rotariens doivent pouvoir expliquer leur organisation. « Mais il faut faire attention à ceux qui considèrent le Rotary comme élitiste ou déconnecté. »
En effet, l’image élitiste est présente auprès d’un public plus âgé également. Mon voisin Philippe Beck, 71 ans, formateur d’adultes indépendant à la retraite, connaît quelques personnes qui font partie du Rotary et dit avoir une vague idée du profil du club. « Je dirais grosso-modo un club de notables qui financent un certain nombre d’actions. Des actions plutôt bien. »
Pour Blaise Willa, directeur et rédacteur en chef du magazine romand « générations », qui s’adresse notamment à un public de plus de 50 ans, le Rotary évoque l’image d’un club « plutôt connu, mais dont on ne parle plus trop, dont on pourrait douter même de son attractivité ». Il a une vague idée des engagements du Rotary, dans le domaine de l’entraide et de bienfaisance.
Costantino Serafini, responsable du programme AvantAge de Pro Senectute Vaud, âgé de 57 ans, dit lui « naturellement connaître le Rotary ». Il apprécie tout particulièrement l’engagement et la mobilisation de ses membres pour la défense de causes fondamentales, que ce soit dans l’aide pour améliorer les conditions de vie et surtout pour la paix dans le monde. « Le soutien financier du Rotary est un pilier incontournable pour les structures qui sont engagées directement dans des projets dans ces causes. » Costantino Serafini mentionne en particulier « les bourses pour la paix » et, étant lui-même médiateur, les « médiateurs sans frontières ». Est-ce qu’il pourrait s’imaginer rejoindre un Rotary club un jour? Serafini répond qu’il ne s’est pas encore posé la question pour l’instant. »
Pour celles et ceux qui auront à expliquer la vocation du Rotary, voici le résumé de Simon Bichsel en deux phrases : « Le Rotary est une association mondiale d'hommes et de femmes actifs qui partagent une vision commune. Ils veulent être aux côtés de ceux qui ne peuvent pas s'aider eux-mêmes : localement dans leur propre communauté et dans des projets d’aide humanitaire internationaux ».
Un plan d’action pour mieux faire connaître le Rotary
Depuis plus d'un siècle, le Rotary rassemble des leaders qui mettent leur expertise au service des communautés. Le Rotary Brand Center fait néanmoins remarquer que malgré un impact significatif dans le monde entier, « de nombreuses personnes ne savent pas qui nous sommes et ce qui nous caractérise ». Ainsi, 35 pourcents du public ne savent pas qu'il existe un Rotary club dans leur commune. Le Rotary veut changer cela avec une campagne mondiale appelée « Place à l'action ». Des outils pour communiquer d’une manière cohérente et convaincante sont proposés sur le site du Brand Center, du logo jusqu’au modèle pour un post Facebook en passant par des modèles de publicité « Place à l’action ».
Aujourd'hui, les relations créées depuis un siècle constituent un réseau qui s'étend à l'échelle mondiale et partage la vision d'un monde meilleur – au-delà des barrières culturelles, linguistiques, générationnelles et géographiques. Afin de concrétiser cette vision, le Rotary a élaboré un plan d’action. Son objectif jusqu'en 2024 : augmenter l’impact, étendre la portée, améliorer l'implication des participants et la capacité d'adaptation des Rotariennes et des Rotariens. Car, peut-on lire en lien avec ce plan, « le monde d'aujourd'hui n'est plus celui de 1905 quand le Rotary a été créé. La démographie a évolué, le monde change à vive allure et la technologie a redéfini nos façons d'appréhender nos relations et nos actions. Ce qui perdure sont les valeurs qui définissent le Rotary : la camaraderie, l'intégrité, la diversité, le service et le leadership. Ce plan d'action honore notre histoire et embrasse l'avenir. Nous pouvons faire évoluer le Rotary comme une organisation non seulement pertinente, mais aussi solide. »