La jeune femme de 33 ans est bûcheronne et garde forestière dans le canton de Vaud, une des rares femmes à exercer ce métier. Elle nous parle de sa passion et des défis auxquels elle est confrontée.
Quel contraste ! La main fine avec ses ongles vernis en bleu azur posée sur l’énorme roue de la machine forestière : Amanda Crisinel-Ruch met une touche féminine et coquette dans un environnement de travail apparemment rude et masculin. La jeune femme rit et nous raconte qu’elle a « toujours été comme ça ».
« J’ai dû faire mes preuves »
Être une femme, voire la seule femme dans des équipes d’hommes, Amanda Crisinel-Ruch en a l’habitude depuis l’âge de 15 ans. C’est à ce moment-là qu’elle a commencé son apprentissage de bûcheronne, sans la moindre hésitation. « J’ai toujours su que je voulais faire ce métier, depuis toute petite ». Qu’elle ait fait sa formation dans l’entreprise familiale lui a valu quelques critiques, mais elle affirme qu’elle n’a pas été traitée différemment que ses collègues apprentis. Au contraire : « J’ai dû faire mes preuves comme fille. Je n’ai pas été chouchoutée ».
La passion de la forêt et du bois ? Elle a attrapé le virus petite fille déjà. Pour monter son entreprise, son père Daniel n’était pas beaucoup à la maison quand les enfants étaient en bas âges, mais sa fille ne lui en tient pas rigueur. « Il était absorbé par son travail. » Aujourd’hui, elle met en avant ce que ses parents ont construit ensemble. Elle admire leur parcours. En 1984, Daniel Ruch travaillait seul comme bûcheron et sa femme, Corinne, gérait la comptabilité, aujourd’hui l’entreprise forestière, très connue dans le canton de Vaud, emploie une quarantaine de collaborateurs.
Se faire respecter
Être bûcheronne est un travail physique, même si « on doit réfléchir avec la tête et non seulement avec les bras », comme l’explique Amanda Crisinel-Ruch en souriant. Elle s’est donc formée comme garde forestière après sept ans de bûcheronnage et a travaillé pour la gestion des forêts des triages à Leysin – Les Ormonts puis à Saint-Cierges. Mais, après quatre ans au service des communes, elle ressentit le besoin de « plus de challenge » et retourna dans l’entreprise familiale, et ainsi dans l’économie privée. À 33 ans, elle est copropriétaire de l’entreprise avec son frère Sylvain et leur papa. Sylvain a 36 ans, il est, lui aussi, bûcheron. S’il œuvre comme expert-comptable, Amanda est responsable de la gestion des équipes, de la recherche et de l’organisation du travail, en grande partie auprès des communes et du canton. En rétrospective, elle est très contente d’avoir appris bûcheronne. « Il faut savoir de quoi on parle si on veut se faire respecter », explique-t-elle.
Relever le défi du privé
Dans quelques années, elle reprendra la gestion de l’entreprise avec son frère, d’autant plus que le papa, 59 ans, sera encore plus engagé dans la politique avec son tout nouveau mandat de conseiller national. Amanda Crisinel-Ruch regarde par la fenêtre de la cuisine dans les locaux de l’entreprise en direction de la forêt et hausse les épaules. « Dans le privé, on ne sait jamais de quoi le lendemain sera fait. Mais, je me dis qu’il faut toujours essayer, et j’ai envie de relever ce défi. »
La forêt est fragilisée
L’insécurité du lendemain vaut d’ailleurs aussi pour la forêt. Le changement climatique fragilise des espèces qui ont façonné le visage des forêts suisses pendant des générations. L’épicéa et le sapin blanc souffrent de la chaleur et de la sécheresse, l’épicéa étant attaqué par le bostryche en plus. Ainsi, les frênes tombent malades à cause d’un champignon appelé la chalarose. Les gardes forestiers y répondent par la plantation de forêts mixtes et mettent fin aux monocultures du passé. Ils et elles essayent également de favoriser des essences comme les chênes qui supportent mieux un climat chaud et sec. Mais, Amanda Crisinel-Ruch ne se fait pas d’illusion, il n’existe pas de solution immédiatement. « On saura seulement dans plusieurs décennies si les choix d’aujourd’hui auront été les bons. »
Entre productivité et écologie
La forêt, Amanda Crisinel-Ruch y est en permanence, par ailleurs pendant son temps libre avec son mari et leurs enfants de deux et trois ans. Son mari est aussi bûcheron, « mais les garçons choisiront peut-être un tout autre métier, et c’est bien ainsi », dit la maman. Ce qui est important pour elle en revanche, c'est de pouvoir leur transmettre son amour pour la forêt et surtout le respect de ce patrimoine. « Le bois est une matière noble que la forêt régénère perpétuellement. » L’exploiter à des fins économiques n’est pas une contradiction pour la jeune femme. « On ne fait pas de mal à la forêt, soutient-elle, on l’aide à se régénérer plus rapidement. » En Suisse, la loi sur la forêt est stricte : sa surface ne doit pas être diminuée et il est interdit de couper plus ce que la forêt ne produit. Amanda Crisinel-Ruch trouve d’autant plus difficile de se voir confrontée à des attaques de certains écologistes qui crient « assassins ! » lorsqu’ils voient les bûcherons avec leurs machines lourdes en train de couper des arbres. Car les arbres qui sont coupés sont « mûrs » explique la garde forestière, c’est-à-dire qu’on ne pourrait pas les laisser sur pied encore longtemps parce qu'ils risqueraient de sécher et de représenter un danger sanitaire ou sécuritaire. L’ouverture laissée est express comblée par des jeunes arbres. « Et puis on est tenu d’effectuer les déplacements des machines lourdes sur des layons désignés par les gardes forestiers, ceci afin de limiter au maximum le tassement au sol », rajoute encore Amanda Crisinel-Ruch. On lui pose une dernière question avant qu’elle ne file à un prochain rendez-vous. Ensuite, si on laissait faire la nature ? Oui, on pourrait dans des zones peu fréquentées pour ne pas porter atteinte à la sécurité des personnes. Mais, les métiers liés au bois disparaîtraient et les personnes finiraient au chômage, argumente-t-elle. Avec une autre conséquence négative à ses yeux : « les importations de bois de construction seraient encore plus importantes ».
Denise Lachat