Se prononcer sur l’image du Rotary constitue une arme à double tranchant. Si vous la portez aux nues et la gratifiez des qualificatifs les plus laudateurs (même si vous n’y croyez pas un mot…), l’institution rotarienne vous en sera éternellement reconnaissante et vantera la finesse de votre discernement. Mais si vous envisagez de faire preuve d’esprit critique, disons par souci d’objectivité, c’est-à-dire que vous doutez de son image, que vous la contestez ou la dévalorisez, alors vous commettrez un crime de lèse-majesté que le Rotary ne vous pardonnera peut-être jamais. Peu importe, en fin de compte, attendu que toute remise question présente au moins l’avantage d’inviter à l’amélioration. D’où l’impertinence de cette chronique aux considérations et suggestions iconoclastes… au profit du Rotary !
Le 23 février 1905, l’avocat américain Paul Harris (1868-1947), un visionnaire, fonda le premier Rotary Club à Chicago avec trois amis entrepreneurs, l’un négociant en charbon, l’autre ingénieur des mines et le troisième tailleur. Son objectif était de dynamiser les courants d’affaires entre les chefs d’entreprise, afin de relancer l’économie américaine qui connaissait une situation dépréciée. L’initiative de Paul Harris émergea à point nommé puisque quelques années plus tard, en 1914, la Première Guerre mondiale entraîna les États-Unis dans son sillage, dès 1917. Elle affirma aussi sa légitimité lorsque éclata le krach boursier d’octobre 1929 à Wall Street, qui entraîna une décennie de récession avec une augmentation massive du chômage et de la pauvreté.
Puis l’économie mondiale se consolida, en particulier à l’aune de XXIe siècle, en établissant des garde-fous notamment législatifs et régulateurs. En parallèle, la société se transforma et avec elle la mission du Rotary. D’un mouvement de solidarité économique entre ses membres, l’institution rotarienne se réorienta vers l’humanitaire et la philanthropie. Ses actions dans ces domaines furent – et s’avèrent toujours – dignes d’éloges, car pleinement bénéfiques à l’humanité en général et aux êtres en souffrance, en particulier. Sur le plan international, mentionnons, sans exhaustivité, les campagnes pour éradiquer des maladies graves tels la poliomyélite, le paludisme ou le sida, celles pour assurer l’approvisionnement en eau potable, l’hygiène, la santé des mères et des enfants ou encore les campagnes pour promouvoir l’éducation, la protection de l’environnement et la paix. Sur les plans local et régional, répertorions, à nouveau sans exhaustivité, des collectes de denrées alimentaires pour les personnes fragilisées, des aides à l’enfance maltraitée, des actions pour soutenir les patients atteints de pathologies dégénératives, pour protéger les ressources naturelles, etc.
Valoriser les femmes !
Alors, qu’en est-il de l’image du Rotary ? Précédemment, l’institution rotarienne était peu ou prou connue de l’opinion publique, car elle ne communiquait quasiment pas. Elle se contentait d’entretenir des liens étroits entre ses membres uniquement issus des hautes sphères de l’économie, de la finance, du droit, de la médecine, etc., autrement dit des privilégiés qui affectionnaient l’entre-soi et y tenaient avec opiniâtreté.
Au fil des années, le Rotary affronta une situation identique à celle de la plupart des associations : vieillissement des membres, déclin de leur nombre en partie à cause des démissions, assiduité plus qu’aléatoire malgré l’obligation statutaire, difficultés de recrutement, etc. Petit à petit, l’institution rotarienne perdit son aura. Mais elle réagit en se « démocratisant » selon deux axes principaux : l’élargissement de la hiérarchie des fonctions professionnelles de ses membres, qu’une poignée d’anciens considèrent encore comme un nivellement par le bas…, et l’accueil des femmes dans les clubs existants qui n’alla pas sans mal, un euphémisme !; d’ailleurs, certains d’entre eux, en général les clubs masculins « historiques » considérés comme conservateurs pour ne pas dire rétrogrades, refusèrent catégoriquement de les intégrer. Leur manque d’ouverture d’esprit n’a pas évolué d’un iota dans la mesure où la plupart d’entre eux se montrent toujours réfractaires à la présence féminine, frisant même l’obsession...
En prolongement de sa stratégie d’ouverture, le Rotary dut s’astreindre à reconstruire son image ou plutôt à l’édifier, parce qu’elle était quasiment inexistante jusque-là. Mais la communication mise en œuvre, parfois confuse et mal ciblée, ne porta guère ses fruits. Par conséquent, l’image élitiste et vieillissante de l’institution rotarienne perdure, ce que confirme la moyenne d’âge dans les clubs qui avoisine les 63 ans. Forçons délibérément le trait : des barbons cacochymes et des dames patronnesses partagent un repas fastueux, les uns discutant affaires et les autres chiffons ; tous baignent dans l’opulence et versent leur généreuse obole aux miséreux, histoire de se donner bonne conscience… Quant à l’ «amitié rotarienne », superficielle, elle sert à flatter les egos des uns et des autres, voire à signer de juteux contrats. Autant dire que l’opinion publique juge plutôt mal le Rotary, pour autant qu’elle connaisse même son existence. Du reste, elle s’en moque éperdument.
En Suisse, la diffusion singulièrement anémique d’informations sur ses actions en priorité de proximité explique a priori son déficit d’image. Elle se limite aux membres du Rotary et aux bénéficiaires des actions philanthropiques, voire à quelques médias épars qui ne relaient que rarement le contenu des communiqués et dossiers de presse auprès de leurs lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Cette carence en communication se révèle préjudiciable pour l’institution rotarienne. Par l’intermédiaire de l’« Action Day », ses membres vont depuis peu à la rencontre du public pour faire connaître les valeurs, les motivations et les actions du Rotary. Un premier pas tout à fait opportun. Dans l’optique de corriger son image écornée, donc sa réputation, il conviendrait aussi de davantage valoriser l’exceptionnel engagement des femmes dans les clubs, bien plus préoccupées par la cause humaine que leurs homologues masculins. Or, les trois districts du Rotary en Suisse comptent encore 46 clubs sans aucune présence féminine sur un total de 223, tandis que le nombre de femmes s’élève à seulement 2’200 environ sur un total de membres dépassant les 13750...
La clé d’une reviviscence durable du Rotary passerait également par le changement d’état d’esprit trop souvent embourgeoisé, conformiste et bien-pensant de ses membres, plus spécifiquement masculins. De la part de bon nombre d’entre eux qui se considèrent avec suffisance comme une soi-disant élite sociale, la prise de conscience d’une apodictique élévation et authenticité, à commencer dans l’amitié, leur permettrait de s’ériger en élite du cœur, simplement.
Séduire la jeune génération
Voici trois suggestions « idéalisées » pour inciter la jeune génération à rejoindre le Rotary en Suisse, ne serait-ce que pour stimuler son rajeunissement :
- Optimiser la diffusion et le contenu des messages du Rotary en utilisant les réseaux sociaux avec efficience et à bon escient, tout au moins certains d’entre eux, afin de porter à la connaissance de la jeune génération toutes ses actions locales et régionales de solidarité avec leurs résultats concrets obtenus
- Remplacer les agapes bimensuelles par des séances de travail sur les actions à mener, en tout cas pour la jeune génération éprise d’opérativité
- Fixer une cotisation au montant symbolique pour la jeune génération dans le but de la rendre accessible ; dans la foulée et par souci d’altruisme, déterminer la cotisation de chaque membre selon son revenu fiscal, étant donné que, désormais, le Rotary recense aussi des membres impécunieux...