Empathie, tolérance, camaraderie – vous avez dit amitié?

vendredi 1 juillet 2022

Passer du temps ensemble et partager les mêmes valeurs, comme c’est le cas dans les clubs du Rotary, est un terreau fertile pour développer des amitiés. Ou est-ce qu’il conviendrait plutôt de parler de camaraderie ? Ou d’empathie ? Enquête et réflexions à l’occasion des 40 ans du Rotary Club de La Sarraz-Milieu du Monde.

Savez-vous combien d’heures seraient nécessaires pour passer du statut de « connaissance » à celui d’un ami ou d’une amie ? Eh bien, il faut un nombre rond et précis de 50 heures. Pour construire davantage encore une amitié, il va falloir 90 heures de plus : c’est seulement au bout de ce temps de partage qu’un ami sera devenu un « bon ami », un vrai. Rajoutez-y encore 160 heures pour devenir meilleur ami ou meilleure amie – 300 heures au total permettent de construire une relation de qualité.

Cette manière mathématique de mesurer un engagement amical et finalement un sentiment fort peut paraître curieuse. Mais comme on doit ces chiffres à un scientifique en génétique, Jeffrey A. Hall, qui est également un lauréat du Prix Nobel, on ne se permettra pas de froncer les sourcils.

Passer du temps ensemble

Passer du temps ensemble, du bon temps même, c’est ce que font des milliers de Rotariennes et Rotariens à travers le monde. Et c’est au « milieu du monde », dans la Commune vaudoise de La Sarraz, que cela dure depuis 40 ans déjà. L’anniversaire du Rotary Club La Sarraz-Milieu du Monde*, joyeusement fêté durant le week-end de Pentecôte (cf. page XX), en est un bon exemple. 

Des heures passées ensemble, des années même pour certains, cela crée de liens forts. Cela vaut tant pour l’intérieur du club que pour l’extérieur, si on pense seulement au stamm hebdomadaire. Dans le cas du RC La Sarraz-Milieu du Monde il se tient depuis 40 ans à La Croix Blanche de La Sarraz, un restaurant tenu par la famille Porchet. C’est justement à la Croix Blanche que 24 messieurs avaient fondé le Rotary Club. Georges de Coulon est un des quatre membres fondateurs, et il se souvient d’avoir été très content de pouvoir ainsi faire connaissance avec des gens de la région. Ce physicien de l’EPFZ avec un master en génie nucléaire et une expérience professionnelle dans le domaine de l’énérgie à haute tension venait en effet de quitter Genève pour relever le défi d’une reconversion professionnelle totale dans un nouveau lieu de vie : reprendre un domaine agricole-viticole à Eclepens, hérité par un oncle. Au cours de travaux de construction à effectuer sur le domaine, Georges de Coulon fit connaissance de Rémy Zali, plâtrier-peintre qui avait envie de créer un club pour sa région. Avec René Graf et Jean-Pierre Staufer, le quatuor préparait la fondation du Club en 1982. Ils ont vu grandir et évoluer patrons comme personnel de La Croix Blanche. La serveuse venue de France à l’âge de 16 ans était d’ailleurs présente à la soirée de gala comme cheffe de rang et veillait à ce que tous les convives se régalent et que le service se déroule comme du papier à musique. 

Ne pas galvauder le mot « amitié »

Une petite tâquinerie par-ci, un gentil mot par-là, beaucoup de rires et de joie partagés dans cette soirée de fête. Mais lorsqu’on interroge Lucien Pavillard, qui fait partie du Club depuis 38 ans, sur l’amitié dans le Rotary, il a un moment d’hésitation. Oui, des relations amicales voire fraternelles se sont développées avec quelques-uns. Mais, à son avis, le mot amitié est « un peu galvaudé dans le Rotary à force de trop en parler. N’en abusons pas ». Parce que pour Lucien Pavillard le mot amitié est un mot magnifique, sacré même, qui désigne une relation rare avec une personne « à qui on peut dire ce qui nous gêne absolument ». Et pour le Rotary alors ? Le mot camaraderie lui convient mieux. « On peut agir dans l’humanisme et la générosité sans forcément parler d’amitié ».

Empathie, tolérance et complicité

Humanisme et générosité : voici deux mots qui se marient bien avec ceux choisi spontanément par la présidente du RC La Sarraz-Milieu du Monde, Isabelle Gay-Crosier. Débordante d’énergie, toute vêtue de rouge et portant le collier avec les 40 plaquettes dorées des présidences, 37 hommes et trois femmes, sa réponse fuse. Pour elle, amitié rime avec empathie et tolérance. Elle a d’ailleurs placé son année présidentielle sous le slogan « Avec l’élan du cœur ». C’est donc tout naturellement que cette pharmacienne s’est approchée de la Fondation ASRIMM pour récolter des fonds pour la fondation, mais pas seulement. Elle a aussi invité une jeune femme atteinte d’une maladie neuro-musculaire à sa table. Pamela Ruga, 29 ans, est venue en compagnie de la directrice de l‘ASRIMM, Monika Kaempf, de l’auxiliaire de vie Gloria Anguita et de son précieux chien d’assistance Bali. Pamela Ruga s’est adressée aux invités, assise dans sa chaise roulante. Sa myopathie fût diagnostiquée quand elle avait deux ans, elle put encore marcher jusqu’à l’âge de douze ans. Aujourd’hui elle a besoin d’aide presque 24 heures sur 24, car elle ne peut pas, par exemple, se retourner seule pendant la nuit. Quelle leçon de vie d’entendre la jeune femme parler de sa situation, avec son sourire radieux qui ne la quittera pas pendant toute la soirée !

Pamela Ruga dit apprécier de pouvoir sortir, « c’est chouette de voir du monde. On peut revivre après le Covid ». Elle travaille à 20 pourcents à la HES de Lausanne, et elle peut habiter en appartement grâce à la contribution d’assistance versée par l’AI. Sortir, avoir une journée de loisir de temps à autre, est possible grâce aux dons récoltés par l’ASRIMM. « Allez, Pamela, applaudis », lui lancera Gloria Anguita au moment du concert de la soirée avec un clin d’œil de complicité. Peut-on dire une chose pareille à une personne avec un handicap ? Apparemment oui. Pamela Ruga nous confie que cela lui rappelle le film « Les Intouchables ». Elle apprécie cet humour noir. « Il faut pouvoir en rire ». Gloria Anguita ajoute qu’elle ne considère pas Pamela comme une personne handicapée. C’est peut-être aussi ça, l’amitié ? Cette reconnaissance de l’autre, sa valorisation qui n’a pas besoin de normes ? De l’empathie très certainement. Et nul besoin de se limiter aux hommes et aux femmes. Pour Pamela Ruga, son meilleur ami, c’est Bali, son chien.

L’amitié demande d’être cultivée

Organiser des soirées comme celles de la 40ème à La Sarraz pour presque 300 convives demande beaucoup de travail, notamment pour un club avec environ 50 membres. Rien que pour une partie de la décoration : Avec des bouts de vieux draps et de tissus, d’adorables poules ont été cousues puis misées pour le compte de l’ASRIMM. « Avec l’envie de bien faire et dans un élan de générosité », comme dirait Isabelle Gay-Crosier. Tout le monde ne s’investit pas avec le même degré d’intensité. Mais enfin, cela n’est pas propre aux clubs du Rotary.

Au-delà du facteur temps, l’investissement désintéressé a son rôle à jouer dans l’amitié. Isabelle Gay-Crosier : « L’amitié demande d’être cultivée. Les membres de mon club font des choses pour moi sans demander rien en retour, et moi j’agis pareillement ». Être là pour l’autre, cela prend d’autant plus de sens lorsque, comme c’est le cas dans le Rotary, on partage les mêmes valeurs. C’est particulièrement intéressant quand on sait que ces valeurs sont portées par une grande diversité de personnes. Isabelle Gay-Crosier le constate depuis son affiliation en 2009 : « Au Rotary, je rencontre des gens que je n’aurais sûrement pas rencontré autrement. J’y côtoie des psychiatres, des agriculteurs, des notaires et des fromagers ». Georges de Coulon le confirme : « Au Rotary j’ai pu rencontrer les gens de tous bords, des chefs d’entreprises comme des maîtres d’état. Cela permet d’avoir un autre regard, ce qui vaut d’ailleurs aussi pour ma réorientation professionnelle ».

À la fin de l’année rotarienne Isabelle Gay-Crosier a passé le flambeau à Véronique Zeberli qui présidera le club jusqu’en juin 2023. La nouvelle présidente a choisi la bienveillance comme slogan, « la bienveillance envers tout ce qui existe, humains, animaux, nature, le tout est relié ». Elle aimerait bien soutenir une association à la Vallée de Joux où elle réside. Association créée par Roger Dayagbo, un Congolais qui œuvre pour son village au Congo en promouvant l’agriculture, l’éducation. C’est ainsi une association à la fois locale et internationale, conclut Véronique Zeberli. Puis elle aimerait œuvrer pour l’environnement en soutenant une association comme L’Initiative pour les Alpes par exemple. « Ma maman était grisonne et je parle romanche. Les Alpes, leur protection : c’est fondamental pour moi. »

Voilà une bonne base pour continuer à développer de la camaraderie, de l’empathie, de la tolérance – et peut-être une amitié. Le mot final revient à la science. Elle nous apprend que les relations amicales peuvent prévenir des maladies. Et confirme ainsi ce que nous savions toutes et tous : les amis nous rendent heureux, et ils sont bons pour la santé. 

*La Commune de La Sarraz se situe au point de séparation des eaux du Nozon vers la Mer du Nord, d’une part, et vers la mer Méditerranée, d’autre part. Cette limite a été baptisée « Milieu du Monde », raison pour laquelle l’extension « Milieu du Monde » est utilisée pour marquer cette curiosité. Font partie du RC La Sarraz-Milieu du Monde : La Sarraz, Orbe, Vallorbe, Cossonay et la Vallée de Joux.

Denise Lachat

Isabelle Gay-Crosier et Véronique Zeberli